Page 72 - Vincent_Delavouet
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                çant même y laissait son gain et il arrivait souvent qu’un
                individu, parti avec l’intention d’aller prospecter ou com­
                mercer dans ces pays neufs, n’avait pas besoin de s’embar­
                quer le lendemain, ayant perdu en une nuit tout ce qu’il
                possédait.
                  Mais, il ne faut pas nous éloigner de notre sujet.
                  Inutile de dire au lecteur que je ne me laissai point séduire
                par ce faux mirage. Lorsque j’eus visité tous les gens de
                Faîrbank et des environs susceptibles de m’acheter mon or
                manufacturé, ou plus exactement me l’échanger contre de
                bonnes pépites, je m’en fus à 40 kilomètres de là, à Dome-
                krick, au moyen d’un petit chemin de fer à voie étroite ; ce
                pays était principalement habité par des Russes, Norvé­
                giens et Finlandais, des hommes durs à la fatigue. C’est dans
                ce pays de Domekrick, que je vis lyncher un individu pour
                avoir simplement volé un pantalon. Le lynchage était alors
                à peu près la seule police efficace à cette époque et était
                d’un usage courant; aussi je ne rapporte cet exemple qu’en
                raison du peu d’importance du vol, qui valut à son auteur
                d’être pendu et j’en fus le témoin.
                  Le jugement fut rendu par sept mineurs, érigés en juges.
                Quatre étaient pour la pendaison ; ce fut cette majorité qui
                prévalut !
                  Je n’avais plus aucune marchandise à vendre depuis mai
                de cette année 1902, et il m’était impossible de songer à me
                ravitailler. Aussi, après avoir converti mes marchandises et
                bank-notes en or du pays, n’avais-je plus qu’une chose à faire :
                profiter de la fonte des glaces du Yukon et du bateau faisant
                le service jusqu’à son embouchure pour quitter cette terre
                glacée. C’est ce que je fis en juillet ; mon voyage se fit sans
                incident, ainsi qu’à la précédente expédition, et nous débar­
                quâmes à Saint-Michel.
                  Mais là, il fut conseillé à mes compagnons de route et à
                moi-même de ne pas aller nous embarquer comme précé­
                demment à Nome (point de départ de la ligne Seattle-San-
                Francisco),pour la raison que je vais succinctement expliquer.
                 Des journaux, d’accord avec les Compagnies de navigation,
                avaient laissé filtrer des nouvelles à sensation, faisant croire
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