Page 69 - Vincent_Delavouet
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Quant à moi, instruit par l’expérience et ne voulant pas
recommencer à subir les misères de ma dernière expédition
du Klondyke, je consentis volontiers à me joindre à eux,
mais avec simplement un stock important de bijouterie
en or, que j’espérais bien échanger contre de l’or natif.
Donc, nous nous embarquâmes de San-Francisco vers
février 1902 pour Seattle, point de départ déjà suivi et, de
Seattle, nous fîmes la même traversée que pour l’expédition
du Klondyke, avec cette différence, qu’au lieu de débarquer
à Dyea, nous poussâmes jusqu’à l’embouchure de Cooper
River à Valdaase, pour de là nous diriger au moyen de^traî-
neaux sur Fairbank. Nous eûmes encore à lutter cette fois
contre les éléments, une bise glaciale qui, malgré nos vête
ments de peau et nos sous-vêtements de laine, nous trans
perçait. Aucune route ni sentier n’était tracé, simplement
des coups de hache contre les arbres, marqués par des prédé
cesseurs, nous évitaient de nous éloigner de notre chemin.
Aucune autre trace de caravane ne pouvait se reconnaître,
en raison des chûtes de neige continuelles qui aplanissaient
le sol. Cette neige était friable, et, pour pousser nos traîneaux
et ne pas no as enfoncer à chaque pas, nous fîmes usage de
« raquettes », espèce de grand patin en bois plat, indispen
sable dans ces régions. Des rafales de neige étaient telles
qu’il nous arrivait de ne pouvoir ni avancer ni reculer, c’est
alors que le seul moyen pratique pour combattre les éléments
déchaînés était de nous allonger sur des couvertures placées
sur des peaux de bêtes, de nous enrouler dans ce linceul et
de rester quelquefois une journée et plus ensevelis dans la
neige, en attendant la fin de l’ouragan. Et le plus curieux est
que non seulement l’air ne se raréfiait pas, mais que nous
sentions même un peu de chaleur dans cette position.
Ce qui n’empêche que les froids étaient terribles ; c’est là
que mes oreilles se congestionnèrent et que depuis cette
époque j’ai de la difficulté à entendre nettement. Ni les ours,
ni les loups, heureusement, ne vinrent nous attaquer. Par
ces grands froids, l’ours reste dans sa tannière, engourdi, lui
aussi. Quant aux loups, ils n’attaquent l’homme que lorsqu’ils
sont en grand nombre et, heureusement pour nous, le cas
ne se présenta pas.