Page 623 - Les merveilles de l'industrie T1
P. 623

INDUSTRIE DU SEL.                                619


          Au fur et à mesure qu’il se forme dans   tonnes. Quant aux porteurs, ils travaillent
        les tables salantes, le sel s’accumule au   plus ou moins, selon leur force et leur
        fond de la table. Lorsqu’il forme une couche   énergie. Le poids de sel qu’ils transportent
        de 3 à 6 centimètres d’épaisseur, on procède   en un jour, dépend, d’ailleurs, de la distance
        à la récolte.                             à parcourir. Le poids contenu dans les
          Celte récolte comprend deux opérations :   paniers en nattes est d’environ 30 kilo­
        le battage et le levage.                  grammes. On peut compter qu'un homme
          Le battage, ou javelage, consiste à rassem­  porte moyennement aux camelles 4 à 5
        bler le sel en un certain nombre de tas co­  tonnes par jour, c’est-à-dire qu’il faut deux
        niques, appelés javelles. Pour l’effectuer, on   ou trois porteurs pour un batteur.
        commence par faire écouler l’eau qui re­    Comme la récolte du sel se fait au moment
        couvre la couche de sel, et on laisse ce sel   où les moissons augmentent beaucoup le
        exposé au soleil pendant deux ou trois jours.   prix de la main-d’œuvre, on a cherché à
        On sépare ensuite les cristaux du fond de la   réduire cette dépense en recourant à divers
        table au moyen d’une pelle plate en bois,   moyens. Dans le salin de Berre, près de
        terminée par un biseau en fer, que l’on fait   Marseille, on emploie un petit chemin de
        glisser horizontalement au-dessous de la   fer portatif, dont les rails se posent sur le
        couche de sel. On amoncelle ensuite ces   sol des tables, et qui vient aboutir à la ca-
        plaquettes en gerbes. La séparation du sel   melle en formation. Sur ce petit chemin de
        et du fond argileux se produit très-nette­  fer roulent des wagonnets attelés à une corde
        ment, et les cristaux sont purs de tout mé­  sans fin, qui est mue elle-même par un ma.-
        lange terreux.                            nége. On réalise ainsi une notable économie
          Le sel est amoncelé en petits tas coniques,   sur les frais du portage.
        appelés javelles. Chacune de ces javelles   Dans le grand salin de Giraud, situé en
        contient le sel levé sur une superficie de   Camargue, on a creusé un canal de naviga­
        100 mètres carrés, c’est-à-dire 5 à 6 tonnes   tion tout exprès pour éviter un transport des
        en moyenne. On laisse le sel mis en javelles   sels qui aurait été d’un prix énorme, fait
        s’égoutter encore pendant deux ou trois   à dos d’homme. Comme on l’a vu sur la
        jours, puis les ouvriers l’enlèx’ent dans des   figure 377, page 609, qui représente, d’après
        paniers en nattes, portés sur la tête. Le sel   une photographie, une partie du salin de
        est ainsi transporté des javelles aux graviers,   Giraud, de petits canaux longent les tables
        larges chaussées disposées exprès le long des   salantes. Des bateaux portant des caisses en
        tables pour recevoir le sel, qu’on y accumule  | bois, de la contenance de 2 mètres cubes,
        en grands tas, de forme pyramidale, appelés   circulent sur ces canaux. Les ouvriers n’ont
        camelles.                                 qu’à porter le sel à ces caisses ; puis les ba­
          Le levage du sel doit être fait avec beau­  teaux amènent les caisses pleines le long du
        coup de soin, afin de ne pas endommager   canal. Des grues énormes, mues chacune par
        les tables.                               une petite machine à vapeur, enlèvent les
          Pour lever le sel, on embauche, dans les   caisses et les vident, de manière à constituer
        grands salins du Midi, des centaines d’ou­  d’immenses camelles. Les grues peuvent se
        vriers. On confie autant que possible le jave-   transporter d’un point à un autre du canal ;
        lage aux ouvriers du pays employés pendant   elles sont supportées par de forts galets qui
        l’année sur le salin ; le portage aux camell.es   roulent sur de solides madriers qu’on pose
        est donné aux étrangers. Un bon batteur   bout à bout devant la grue en marche.
        peut javeler dans sa journée 10 ou 12     Chaque grue occupe 48 à 80 hommes; 33 à
   618   619   620   621   622   623   624   625   626   627   628