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612 MERVEILLES DE L’INDUSTRIE.
d’ailleurs soin de ne pas retarder assez le passage fluence d’un arrosage par des eaux faibles succédant
du rouleau pour que le fendillement devienne à des eaux plus salées.
inévitable. « Dans les salins de Lavalduc,il est impossible d’ob
« Les rouleaux employés ont de 0m,60 à I “,20 de tenir régulièrement du feutre, à cause du manque
longueur sur 0“,20 à 0,35 de diamètre. Ils sont or d’eaux faibles. Toutefois, on en a vu s’y produire
dinairement en calcaire très-dur (pierre de Cassis) accidentellement à la suite de fortes pluies. Au salin
pesant 2,500 kilogrammes le mètre cube. de Rassuen, qui tire ses eaux de Lavalduc, mais qui,
« Le feutre travaillé en rouleau et à la pelle acquiert situé assez profondément dans les terres, ne manque
une ténacité remarquable : on peut le comparer à pas d’eaux douces, on obtient régulièrement du
du cuir (1). Le feutre d’une année persiste parfaite feutre en suivant la marche précédemment indiquée.
ment jusqu’à l'année suivante. En accumulant « Le feutre n’a pas à beaucoup près partout la même
d’année en année de nouvelles couches de feutre, on importance. Extrêmement utile sur un sol mou et
finit par garnir le fond des tables d’un revêtement vaseux qui ne permettrait pas sans lui d’obtenir du
épais, très-solide, très-propre et parfaitement imper sel propre et incolore, il l’est beaucoup moins sur
méable. Quand le tapis de feutre d’une table pré un sol ferme et compacte, qui constitue par lui-
sente quelques défauts ou quelques déchirures, on même un fond très-propre et très-solide pour les ta
en est quitte pour enlever les parties défectueuses bles salantes. A Giraud, par exemple, le sol est fôrmé
et on regarnit les parties mises à nu d’une couche d’une argile très dure : le sel se détache parfaite
nouvelle qui, s’étendant sur toute la table, constitue ment du fond des tables sans enlever la moindre
un revêtement parfaitement continu pour les tables. particule terreuse. Le feutre n’y a pas, par suite,
D’abord dans les avant-pièces et les derniers partène d’utilité sérieuse; aussi ne s’est-on pas préoccupé
ments, le sol se recouvre d’une couche de sulfate de d’en produire. Il s’en est formé spontanément pour
chaux cristallisé qui rend impossible la culture du la première fois en 1865.
feutre et suffit d’ailleurs pour constituer un revête « Dans certains salins, bien loin de cultiver régu
ment imperméable. Dans les premiers partènements, lièrement le feutre, on cherche à en éviter la forma
le sol est trop mal nivelé pour que la culture du tion. En effet, tous les sols ne sont pas également
feutre y soit possible. De plus, les premiers partène favorables à son emploi. Dans beaucoup d’endroits,
ments restent toujours garnis d’eau dans la marche le feutre se fissure très-facilement et se divise en
normale du travail; or la culture du feutre exige I petits fragments qui restent adhérents au sel et le
qu’on mette à sec à certains moments, ce qui en salissent. Ces petits fragments de feutre qui, en sé
traînerait des complications et une main-d’œuvre chant, se recourbent et s’enroulent comme des
considérable. D’ailleurs il ne faut pas s’ex gérer la feuilles sèches, portent le nom de figues. Les sols qui
valeur du feutre aü point de vue de l’imperméabilité ; laissent dégager beaucoup de gaz sont particulière
il ne peut former un revêtement imperméable que ment défavorables à l’emploi du feutré : les cloches
s’il ne présente absolument aucune solution de con qui se forment sont, au moment de la récolte, cou
tinuité. Si l’eau peut pénétrer par une fissure sous pées par le fer des pelles à javeler et produisent des
le feutre, elle s’étend sous lui sur toute la surface figues. Les figues sont quelquefois assez abondantes
qu’il recouvre et les infiltrations ne sont pas nota pour nécessiter le triage à la main au moment de
blement diminuées. Pour les tablés elles-mêmes, l’expédition du sel(t). »
l’utilité capitale du feutre est de séparer le sel de la
terre colorée. Son imperméabilité n’est qu’une qua Quoi qu’il en soit, les tables salantes étant
lité secondaire.
prêtes à recevoir l’eau contenue dans la
«Dans la plupart des salins que nous avons visités,
le feutre se produit spontanément sur les tables par pièce maîtresse, dont le degré est très-rap-
suite de la marche même du travail. Le saunier se proché du degré de saturation, on introduit
borne à le nettoyer et à l’aplanir avant de garnir les l’eau dans ces tables.
tables d’eau à sel. Cette production spontanée du
feutre se comprend facilement. En effet, au com Les divers salins du Midi présentent des
mencement des campagnes, on n’a pas encore d’eaux différences dans la façon dont on fait tra
saturées; les tables sont utilisées comme simples vailler les eaux sur les tables salantes, et l’on
chauffoirs et reçoivent des eaux faibles qui s’y con
n’opère pas dans les départements de l’Hé
centrent jusqu’à un certain degré, puis sont évacuées
sur les partènements correspondant à leur concen rault et des Pyrénées-Orientales, comme
tration et remplacées par des eaux nouvelles. Or on dans le département de l’Aude.
sait que le feutre se produit précisément sous l’in-
Dans certains salins de l’Hérault, celui de
(1) Le végétal qui a reçu le nom vulgaire de feutre est
(1) Enquête sur les sels, t. III, page 335. Paris, 1869,
une algue microscopique, le microcoleus coriun. in-i°. Imprimerie Impériale.