Page 415 - Les merveilles de l'industrie T1
P. 415

410                   MERVEILLES DE L’INDUSTRIE.

                       usines marseillaises. Substitution de la va­  a reproché dans plus d’un ouvrage, dans
                       peur au chauffage à feu nu ; réduction con­  plus d’un rapport aux Expositions nationales,
                       sidérable de la main-d’œuvre, par l’emploi   parce qu’ils se complaisent dans la routine, et
                       des ressources qu’offre la mécanique ; essais   qu’ils résistent au progrès. Ils ont expéri­
                       de tous les corps gras industriels connus dans   menté tous les systèmes nouveaux, ils ont su
                       les deux mondes, etc.; tout cela fut l’œuvre   s’en rendre compte, car leur intérêt leur dic­
                       des savonniers marseillais, excités par la con­  tait cet examen. S’ils persévèrent dans leur
                       currence de Paris et du Nord.             vieux procédé, c’est que leurs propres expé -
                         C’est donc avec peine que nous avons vu   riences leur en ont démontré la valeur, c’est
                       dans plusieurs ouvrages récents, entre autres   que leurs pères leur en ont transmis la tradi­
                       dans les Grandes Usines de M. Turgan, les   tion, en leur recommandant de la respecter.
                       fabricants -marseillais représentés comme   Ils préfèrentcontinuerun système de fabrica­
                       amis de la routine, rebelles au progrès in­  tion honorable, mais dont les bénéfices sont
                       dustriel et se confinant dans leur vieux sys­  restreints, que d’adopter des procédés dont
                       tème de fabrication (1). La vérité est que ces   la fraude, à divers degrés, est, comme nous
                       manufacturiers, fort au courant des progrès   le verrons bientôt, la base principale ; car
                       de l’industrie, n’ont laissé échapper aucune   on peut, avec certains corps gras, comme
                       occasion de suivre et de s’approprier les inno­  l’huile de coco, introduire dans un savon
                       vations utiles. S’ils restent encore de nos   des quantités d’eau énormes, qui en font un
                       jours fidèles au procédé marseillais, dit à la   produit frelaté, indigne d’une industrie qui
                       grande chaudière, qui remonte au temps    se respecte. A ce point de vue, il est injuste
                       de Louis XIV, c’est que ce procédé fut éta­  de prétendre avec M. Turgan, avec M. For-
                       bli dès l’origine sur des bases si rationnelles   cade (1), que les fabricants marseillais ré­
                       et tellement complètes, qu’on n’a jamais pu   sistent au progrès. On ne saurait honorer
                       en modifier le fond sans dénaturer le pro­  de ce nom une innovation industrielle qui
                       duit, et qu’en outre, ce procédé est le seul   ne s’exercerait qu’au détriment de la qua­
                       qui assure la loyauté de ce même produit,   lité du produit et aux dépens de l’acheteur.
                       la marbrure étant, comme nous le verrons    Cette bonne qualité, cette loyauté du
                       plus loin, une sorte de marque de bonne   produit, importe d’autant plus que, dans
                       fabrication, une preuve écrite que le savon   l’approvisionnement de la France, Marseille
                       ne renferme que la quantité d’eau requise,   compte encore aujourd’hui pour la moitié
                       et que le consommateur n’achète point de   environ, et qu’elle figure pour les deux tiers
                       l’eau pour du savon.                      dans le total de notre exportation.
                         Si les fabricants marseillais font tous   Par sa’ position géographique, Marseille
                       leurs efforts pour maintenir dans sa pureté   conservera toujours la suprématie en ce qui
                       le véritable type du savon marbré ou savon   concerne les savons dont l’huile d’olive ou
                       de Marseille, ce n’est pas, comme on le leur  de sésame constitue la base principale. Tan­
                                                                 dis que les savonniers de l’intérieur ne peu­
                        (1) «Au milieu de ce mouvement marseillais si puissant   vent se procurer les matières premières,
                       et si décisif, l’industrie savonnière semble au contraire,
                       sinon s’éteindre, du moins s'étioler. Il y a pour cela des   c’est-à-dire les huiles et les graines oléagi­
                       causes accidentelles, mais la principale et la plus grave est   neuses, qu’avec une grande augmentation
                       une sorte d’entêtement des fabricants à ne pas vouloir sui­
                                                                 dans les frais de transport, les fabricants de
                       vre les progrès de la science moderne, à ne pas vouloir
                       comprendre qu’à côté des chemins de fer, les diligences,   Marseille les ont constamment sous la main.
                       même parfaitement établies et consciencieusement menées,
                       ne sont plus possibles. » (Turgan, Grandes Usines, t. II,   (1) Rapport du jury de l’exposition internationale de
                       p. 82, la Savonnerie Amavon.)             1867.
   410   411   412   413   414   415   416   417   418   419   420