Page 410 - Les merveilles de l'industrie T1
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L’INDUSTRIE DES SAVONS.                               405


            tous les ans, deux des principaux négociants enten­  finitive des maîtrises et des jurandes, en
            dus dans cette matière, pour veiller dans lesdites
                                                      établissant la liberté de l’industrie fran­
            villes et dans l’étendue de leur territoire, à l’entière
            exécution des articles ci-dessus ; et, lorsqu’ils trouve­  çaise, fit disparaître tous ces règlements, qui
            ront des fabricants ou des marchands qui y auront   d’ailleurs, on vient de le voir, avaient été
            contrevenu, ils les dénonceront aux juges ordinaires
                                                       impuissants à prévenir les fraudes.
            pour être punis suivant l’exigence du cas. »
                                                         Malgré ces entraves accidentelles, la sa­
                                                      vonnerie prit à Marseille une marche ascen­
              Comme le fait observer M. Charles Roux
                                                      dante. D’après le chimiste Chaptal, elle at­
            fils (Jules Roux) dans sa Notice sur la Sa­
                                                       teignait, en 1789, une production de 30
            vonnerie marseillaise, on trouve dans le der­
                                                      millions de francs.
            nier article de cet édit l’origine des conseils
                                                        Ici finit la grande période de l’industrie
            de prud’hommes.
                                                      savonnière de Marseille.
              Les prescriptions de cet édit ne furent
                                                         La liberté absolue, qui fut laissée aux sa­
            pas longtemps observées. Les huiles d’olive
                                                      vonniers, à partir de 1790, engendra de nom­
            furent mélangées d’huile de noix, de chè-
                                                      breux abus. En 1790, c’est-à-dire un an à
            nevis, de lin, de menthe, de colza et de
                                                      peine après l’abolition des règlements sur
            poisson. On alla jusqu’à employer les lies
                                                      la fabrication des savons, on voit paraître à
            de toutes ces huiles, le flamverd qui se
                                                      Marseille un écrit d’un style très-vif, ayant
            trouve sur les chaudières des charcutiers,
                                                      pour titre : « Doléances des blanchisseuses et
            le suif et plusieurs autres graisses.     lavandières, pour être adressées à messieurs
              La défense absurde de faire du savon pen­  les députés de Marseille aux États Généraux,
            dant les mois de juin, de juillet et d’août,
                                                      et être annexées aux quatre cahiers et do­
            ne fut pas respectée davantage. Un édit du
                                                      léances des autres corporations. »
            19 février 1754 vint même régulariser cette   Les fabricants de savon ne sont pas épar­
            infraction, en permettant de fabriquer des
                                                      gnés dans cet écrit. On les nomme des
            savons pendant toute l’année. Cependant,
                                                      malfaiteurs qui vicient le savon par une
            d’après de nouvelles plaintes, on revint sur   augmentation frauduleuse de poids.
            cette concession, et, le 28 février 1760, un
            autre arrêté ordonna la fermeture des usi­  « Ce sont des âmes intéressées qui franchissent
            nes pendant trois mois.                   toutes les bornes de l’humanité, et ne craignent pas
                                                      d’établir leur fortune sur le plus pur sang de la plus
              Un autre édit voulant empêcher les frau­
                                                      basse population... »
            des dont beaucoup d’industriels se rendaient
            coupables par les mélanges qu’ils opéraient,   Si les termes de ce mémoire étaient d’une
            ordonna que chaque fabricant aurait à l’ave­  vivacité extrême, on doit pourtant recon­
            nir sa marque particulière, dont un double   naître que les griefs invoqués étaient sé­
            serait déposé au greffe du juge des manu­  rieux.
            factures , dans les lieux où leur fabrique
            était établie. Tous les savons devaient être   « Ces déloyaux fabricants de savon blanc, écrit
                                                      l’auteur, incorporent dans le savon de 25 à 40 p. 100
            revêtus d’une marque, ce qui donnait le
                                                      d’augmentation du poids, au moyen de l’eau em­
            moyen de reconnaître les auteurs des falsi­  preinte de quelques sels légers de soude, et enlèvent
            fications ayant donné lieu à des plaintes.  par ce moyen, au consommateur l’espérance du
              Jusqu’à la révolution de 1789, il y eut   petit bénéfice qu’il pouvait attendre de son labeur,
                                                       en ce qu’il ne trouve plus dans ce savon vicié l’u­
            encore diverses modifications dans les règle­
                                                       sage qu’il lui eût procuré s’il eût été intact. »
            ments. Tantôt le travail était permis pendant
            l’été, tantôt il était interdit. L’abolition dé­  11 y avait la un dommage évident. Le con­
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