Page 407 - Les merveilles de l'industrie T1
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402                  MERVEILLES DE L’INDUSTRIE


                      cette époque pour constater l’existence dans   terranée, la ville de Savone exportait facile­
                      ce grand centre commercial, des fabriques   ment ses produits. Les grands bois d’olivier
                      de savon qui ont si grandement contribué à   quil’avoisinent, lui fournissaientl’huileavec
                      la prospérité de cette ville.             abondance, et on trouvait dans la combus­
                        Au xiie siècle, les croisades avaient exercé   tion des plantes marines une source suffi­
                      leur heureuse influence sur les habitudes   sante d’alcalis. Comme nous l’avons déjà dit,
                      de la vie domestique en Europe. Revenus   la préparation du savon consistait, dès cette
                      de l’Orient, les croisés avaient propagé l’em­  époque, à faire bouillir avec de l’huile une
                      ploi du linge blanc et le désir de la propreté,   dissolution de carbonate de soude provenant
                      vertu qui avait manqué jusque-là aux popula­  des cendres lessivées, en y ajoutant une cer­
                      tions du Moyen âge, même parmi les classes   taine quantité de chaux, pour caustifier le
                      riches. Malgré le luxe de leurs vêtements,   sel de soude.
                      de leurs armes et de leurs tables, les sei­  La prospérité industrielle de Savone ins­
                      gneurs de ce temps étaient bien voisins de la   pira une grande jalousie à Gênes, sa puis­
                      barbarie, en ce qui concernait leur personne.   sante voisine. Une petite ville épiscopale
                      C’est ainsi que le savon, objet de luxe ou de   osant tenir tête à la fière république de Gênes,
                      pure curiosité jusqu’au Moyen âge, entra   et arrivant à la vaincre dans une joute ma­
                      danslesusagesdela toilette, etdevint bientôt   nufacturière, c’était un scandale qui ne
                      pour chacun un objet de première nécessité.  pouvait durer. Aussi peu scrupuleux en ma­
                        A partir du ,xn' siècle, Marseille compta   tière de concurrence industrielle qu’en poli­
                      une rivale dans la fabrication du savon. Ce   tique, les Génois eurent recours àun moyen
                      fut Venise, qui acquit bientôt dans la savon­  qui peint bien la violence des procédés de
                      nerie une prépondérance commerciale et    ces temps barbares. Une nuit, vingt galères
                      industrielle.                             sortirent du port de Gênes, chargées de
                        Une autre ville d’Italie, ou plutôt du   pierres, de rochers, de blocs de vieille fer­
                      Piémont, Savone, conquit également une    raille et de tout engin lourd et encombrant
                      haute réputation pour la même indus­      qu’on avait pu trouver dans l’arsenal. Les
                      trie. Ses produits et ceux de Venise trou­  galères s’approchèrent en silence de Savone,
                      vèrent de nombreux débouchés, au détri­   et déchargèrent leur cargaison à l’entrée de
                      ment de Marseille. Savone, en particulier,   sa passe, de manière à la rendre imprati­
                      acquit bientôt une telle célébrité, que l’on   cable aux plus petits navires.
                      prétendit (et tous les historiens et écrivains   Le lendemain, les habitants de Savone
                      de nos jours reproduisent cette erreur), que   avaient encore un port, mais un port sans
                      le savon a été produit pour la première fois   issue au large. Leur commerce d’exporta­
                      à Savone. Ce qui précède réfute suffisam­  tion était paralysé.
                      ment cette assertion. Connu des Romains,    C’était là un moyen brutal de se débar­
                      fabriqué chez les Gaulois, chez les Massa-   rasser d’un rival incommode. On y met au­
                      liotes, le savon ne peut avoir été inventé   jourd’hui plus de formes : on procède par
                      dans une ville d'Italie où il ne fut fabriqué   des tarifs de douane, et on arrive sans vio­
                      pour la première fois qu’au xne siècle après   lence à un résultat tout pareil.
                      Jésus-Christ.                               Bien mal acquis ne profite pas. Gênes s’é­
                        Les fabriques de Savone avaient pris une   tait emparée par force de l’industrie du sa­
                      grande importance. Elles éclipsaient celles   von, mais ce privilège lui échappa bientôt.
                      de Gênes, de Marseille, de Malaga et d’Ali­  On a dit que l’abandon que le commerce fit
                      cante. En possession d’un port sur la Médi­  des produits des manufactures de Gênes,
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