Page 71 - Album_des_jeunes_1960
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Ces prouesses sous-marines ont été accomplies
                                             pendant la dernière guerre.




                                      L’héroïque




                        homme-grenouille




                                 par J. D. RÂtcliff et Frank Goldsworthy


            ar une nuit obscure de septembre 1941, les        Le filet s’écarte. « Allons-y », dit La Penne. Trois
         P    « hommes-grenouilles » italiens faisaient sauter, à   contre-torpilleurs émergent de l’obscurité. Bondissant
            l’aide de torpilles spéciales, un cargo et deux pétroliers   dans leur sillage, les trois cochons suivent.
         anglais mouillés à Gibraltar.                        Une fois dans le port, les hommes-grenouilles
           Les torpilles en question, surnommées « cochons »   cherchent leurs objectifs. La Penne se dirige vers le
         parce qu’elles ressemblaient à des porcs en train de   Valiant, mais se heurte à un filet de protection. Il
         nager, étaient en réalité des sous-marins en miniature.   essaie, avec son équipier Emilio Bianchi, de le soulever.
         Un cochon mesurait 6,50 m de long et 53 centimètres   Trop lourd ! Il ne leur reste qu’une possibilité : se
         de diamètre. Propulsé par des moteurs électriques   hisser par-dessus le filet avec leur cochon. Par chance,
         silencieux, sa vitesse allait de 3 à 5 kilomètres à l’heure   personne ne les voit. Ils replongent aussitôt.
         et son rayon d’action atteignait 16 kilomètres. Son nez   La Penne veut placer sa charge au meilleur endroit.
         détachable ou ogive était bourré de 300 kilos d’explosif.  Il laisse le cochon et fait surface pour vérifier une
           Chaque équipe de deux hommes était assise à cali­  dernière fois la position du cuirassé. Mais, quand il
         fourchon sur son cochon. Le travail consistait à amener   retrouve son engin, celui-ci refuse de démarrer. Quant
         les engins sous les bateaux anglais, à fixer les charges   à Bianchi... il a disparu !
         d’explosif contre les coques... et à s’échapper, si  La Penne se met au travail tout seul. L’ogive est
                I                                           encore à 30 mètres du navire. Il commence à pousser
                                                            ce fardeau de 300 kilos dans la boue.
         Au cours des deux années suivantes, ces hommes-      Au bout de près d’une heure d’un travail exténuant,
         torpilles coulèrent ou endommagèrent 14 navires alliés.   la charge est sous le Valiant. La Penne est trop faible
         Le lieutenant de la Marine italienne Luigi Durand de   maintenant pour la fixer à la coque, mais il est sûr
         La Penne mena l’une des plus importantes et des plus   qu’elle sera efficace. Il règle l’horloge du détonateur
         audacieuses de ces opérations, dirigée contre la puis­  sur 6 h 5 du matin. Il est maintenant 3 heures. Encore
         sance navale britannique, à Alexandrie en Egypte. Ce   trois heures avant l’explosion.
         fut un véritable combat de David et Goliath.         Epuisé, il remonte à la surface. Un matelot du
           Le 18 décembre 1941, trois équipes d’hommes-     Valiant entend son léger « floc ». Aussitôt un projec­
         grenouilles sont à bord du sous-marin Scirè, qui repose   teur est braqué sur lui. Une grêle de balles l’entoure,
         sur le fond, devant le port d’Alexandrie. Les cuirassés   tandis qu’il nage vers une bouée ; et derrière cette
         anglais Valiant et Queen Elizabeth sont dans le port.  bouée... Bianchi ! En panne d’appareil respiratoire,
           Peu avant 9 heures du soir, La Penne et ses hommes   celui-ci a perdu connaissance et son corps est remonté
         se glissent dans leurs étroites combinaisons de    à la surface. Une fois revenu à lui il s’est caché
         caoutchouc. Ils montent sur leurs torpilles et se dirigent   derrière la bouée.
         lentement vers le phare de Ras el Tin, à 1 500 mètres   Une chaloupe du Valiant vient promptement cueillir
         de là. Ils avancent à cheval sur leurs cochons et on ne   les deux hommes. A 3 h 30 du matin ils sont interrogés
         voit que leur tête au-dessus de l’eau.             par un officier de pont. Les deux prisonniers indiquent
           Nos hommes-grenouilles s’approchent du filet d’acier   leur grade et leur matricule, mais refusent de dire un
         qui garde l’entrée du port. Les cochons sont bien   mot de plus. On les sépare. La Penne est enfermé dans
         armés de cisailles ; mais couper le filet est une opéra­  un magasin du pont inférieur du navire... presque
         tion dangereuse et qui n’est pas absolument silencieuse.   exactement au-dessus de la charge ! Il regarde sa
         Soudain le phare et le port s'illuminent. Des navires   montre égrener les minutes : 5 h 30, 5 h 40...
         vont entrer !                                        Lin grondement de tonnerre lointain. C’est un pétro-
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