Page 72 - Album_des_jeunes_1960
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                                            l’héroïque homme-grenouille

                                                                lier anglais qui vient de sauter. La première explosion
                                                                est à l’heure. Il est maintenant 5 h 54 — plus que
                                                                 11 minutes. La Penne donne de grands coups de
                                                                poings dans la porte de sa cellule. Il demande à être
                                                                conduit auprès du commandant du bord, le capitaine
                                                                de vaisseau Charles Morgan.
                                                                  —  Votre bâtiment va sauter dans dix minutes, lui
                                                                déclare-t-il. Je ne veux pas que des hommes meurent
                                                                inutilement. Je vous conseille de faire monter tout le
                                                                monde sur le pont.
                                                                  —  Où se trouve la charge ? demande Morgan. Si
                                                                vous refusez de répondre, je vous renvoie en bas.
                                                                  La Penne refuse de répondre. Pendant qu’on le
                                                                reconduit dans sa cellule, il entend le haut-parleur du
                                                                bord difFuser un ordre : tous les hommes sur le pont !
                                                                  Il garde les yeux fixés sur sa montre. A 6 h 6 c’est
                                                                l’explosion. Le Valiant est violemment secoué et s’em­
                                                                plit de fumée. La Penne est projeté à l’autre bout de
                                                                la cellule et perd connaissance sous le choc. Quand il
                                                                revient à lui, il s’aperçoit que le souffle de l’explosion
                                                                a ouvert la porte. Il gagne le pont et fixe ses yeux sur
                                                                le Queen Elizabeth tout proche. Il est 6 h 15 quand
                                                                une explosion effroyable se produit. Le mazout jaillit
                                                                par les cheminées et retombe en pluie dans tout le
                                                                port. La rade étant peu profonde, les trois bâtiments
                                                                atteints s’échouent, mais restent, fait à noter, à peu
                                                                près d'aplomb.
                                                                  La marine italienne détenait désormais la supériorité
                                                                en Méditerranée. Les photographies aériennes prises le
                                                                lendemain montraient que les deux cuirassés anglais
                                                                avaient été gravement touchés. Mussolini refusa cepen­
                                                                dant d’ajouter foi à ces témoignages. Il décréta que les
                                                                bateaux étaient intacts... et la flotte italienne perdit une
                                                                occasion en or.
                                                                  Les six hommes-grenouilles italiens avaient tous été
                                                                faits prisonniers. Après l’armistice entre l’Italie et les
                                                                Alliés, en 1943, La Penne fut libéré et reprit du service
                                                                dans le camp allié. Il participa notamment, contre des
                                                                bâtiments aux mains des Allemands, dans le port de
                                                                La Spezia, à une attaque au cours de laquelle un
                                                                croiseur et un sous-marin furent coulés.
                                                                  En mars 1945, le prince héritier Humbert d’Italie
                                                                vint à Tarente inspecter les unités de la marine ita­
                                                                lienne qui servaient dans les forces alliées. Au cours de
                                                                sa visite se déroula une cérémonie comme on en voit
                                                                rarement. Le prince Humbert allait épingler sur la
                                                                poitrine de La Penne la plus haute distinction italienne,
                                                                la Medaglia d’Oro, quand un officier de marine anglais
                                                                s’avança : c'était le vice-amiral Sir Charles Morgan,
                                                                ancien commandant du Valiant. L’amiral n’avait pas
                                                                oublié que grâce à La Penne, qui l’avait prévenu, il
                                                                n’y avait pas eu un seul mort parmi les 1 700 membres
                                                                de l'équipage du Valiant.
                                                                  Et l’amiral anglais sollicita du prince l’honneur de
                                                                remettre lui-même l’insigne des braves à l’homme-
                                                                grenouille italien.
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