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CAVELIER DE LA SALLE, GENTILHOMME EXPLORATEUR                                 65


        que la Providence semblait avoir créé tout exprès   déserté ! Sur les talons du premier courrier, un
        pour faciliter l’accès de ces immensités. La Salle   second annonça que les déserteurs s’étaient empa­
        entrevoyait un empire regorgeant de blé, de bois,   rés du Fort Miami, qu’ils l’avaient incendié et fait
        de fourrures et de grandes cités.                   main basse sur les fourrures de La Salle. Prompt
           Sans rien divulguer de ses projets, il rentra en   à la riposte, celui-ci tendit une embuscade à ces
        France où il parvint à être reçu par Louis XIV.     canailles qui s’apprêtaient à prendre par surprise
        Il sortit de l’audience ayant en poche ses lettres   Fort-Frontenac, et les remit à la justice du gou­
        de noblesse et le grade de commandant du Fort       verneur, qui fut sans pitié.
        Frontenac, sur le lac Ontario.                        Avec sa volonté de fer, La Salle repartit pour
                                                            l’Illinois. Mais il ne trouva à Fort-Crèvecœur que
        En 1679, le navire que La Salle s’était fait        les traces d’un affreux massacre : partout des
        construire, le Griffon, mit à la voile sur le lac Erié ;   cadavres mutilés et carbonisés témoignaient que
        c’était le premier bâtiment de guerre européen à    les Iroquois avaient pris le fort d’assaut. Tonti
        fendre les eaux des Grands Lacs. Avec La Salle     lui-même avait disparu. Fou de rage et de douleur,
        s’était embarqué celui qui allait être l’ami et le   La Salle fouilla les forêts à la recherche de son
        compagnon d’armes de toute sa vie, l’Italien Henri   compagnon, jurant de le retrouver, dût-il brûler
        de Tonti, qui avait laissé un bras à la guerre.     tous les villages iroquois du continent. Finale­
           Arrivé à Mackinac, dernier avant-poste de la     ment, alors qu’il avait presque perdu espoir, il
        civilisation, La Salle renvoya le Griffon avec un   retrouva Tonti à Mackinac.
        chargement de fourrures destinées à payer les
        dettes qu’il avait été obligé de faire. Comme toutes   En décembre 1681, La Salle s’enfonça de nou­
        ses autres expéditions, celle-ci avait été financée   veau vers les régions inconnues. Il emmenait avec
        par des parents, des amis et des commerçants éta­   lui ses deux vaillants lieutenants, Tonti et La
        blis au Canada.                                     Forreste, une petite troupe de 23 Français et une
           Déjà l’automne colorait les feuilles des arbres   horde, de Peaux-Rouges bigarrés ; il y avait aussi
        de pourpre et d’or, lorsque La Salle entreprit avec   un bon vieux moine, le Père Membre, et Nika, un
        quatre canots lourdement chargés de descendre       guide indien dévoué. Les canots, les outils, les
        vers le sud suivant la rive orientale du lac Michi­  vivres et les munitions étaient chargés sur des
        gan. Tonti avançait parallèlement par voie de       traîneaux. L’expédition descendit ainsi le cours
        terre, se frayant un chemin à travers la forêt et les   gelé de l’Illinois, avançant au milieu de paysages
        marécages.                                          tout recouverts de givre. Quand le fleuve fut
           En attendant que Tonti et le Griffon le rejoi­  libéré des glaces, on mit à l’eau les embarcations,
        gnent, La Salle fit construire le Fort Miami à      et, le 6 février 1682, tout ce monde entra dans les
        l’embouchure de la rivière Saint-Joseph. Tonti      eaux du Mississippi, dont le courant rapide
        finit par arriver, mais pas de Griffon ! Les cours   entraîna nos explorateurs vers le sud. Le 9 avril,
        d’eau commencèrent à geler ; les vivres et les ren­  ils débouchèrent dans l’océan et constatèrent qu’ils
        forts dont l’expédition avait tant besoin n’arri­  étaient parvenus au terme de leur voyage. La Salle
        vaient toujours pas. Ayant presque totalement       fit dresser une colonne taillée dans un tronc
        épuisé leurs provisions, La Salle et ses compa­    d’arbre et baptisa le pays du nom de Louisiane,
        gnons s’enfoncèrent en pays inconnu, en direc­     revendiquant ainsi pour le roi de France la pos­
        tion du fleuve Illinois.                           session de tout le bassin du Mississippi.
           Ils le trouvèrent en fin de compte, et La Salle    Puis il repartit pour Québec, afin de se procurer
        construisit là le deuxième maillon de sa chaîne de   les hommes et les matériaux nécessaires à la
        points d’appui, le Fort Crèvecœur. Mais il lui     construction d’un fort à l’embouchure du grand
        manquait de quoi l’équiper. Laissant le fort à la   fleuve. Mais son protecteur Frontenac avait été
        garde de Tonti, il rentra au Canada. Ce fut pour   disgracié. Le nouveau gouverneur avait déjà écrit
        y apprendre qu’on n’avait plus jamais entendu       à Louis XIV pour tenter de nuire à La Salle et il
        parler du Griffon ni de son chargement de peaux,    avait confisqué tous ses biens que notre explora­
        et que son dépôt de fourrures, à Fort-Frontenac,   teur possédait au Canada.
        avait été saisi par ses créanciers.                   Ruiné, La Salle s’embarqua pour la France. Il
           Peu après arriva un messager envoyé par         sut se faire écouter du Roi et à son tour ne fit pas
        Tonti : la garnison de Fort-Crèvecœur avait        quartier à ses ennemis. Il montrait tant d’assu­
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