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68 DES COCHONS, c’EST DES COCHONS
— Lambin a raison, dit-il. « Des cochons sont des cochons. » Il s’agit
de savoir si les cochons d’Inde sont de la famille des cochons. Mieux vaut consul
ter le président.
Le président fut d’abord enclin à traiter la question à la légère.
— En y réfléchissant, je crois qu’ils ressemblent plutôt à des lapins, dit-il
enfin. Ils sont à mi-chemin entre les lapins et les cochons. Il s’agit de savoir s’ils
appartiennent à la famille des cohons. Je vais le demander au professeur
Grandin.
Le président écrivit donc au professeur. Malheureusement, ce dernier était
en voyage dans les Alpes à la recherche de spécimens pour le Zoo, si bien que
la lettre mis des mois à lui parvenir. Tout le monde oublia les cochons d’Inde,
mais Lambin, lui, ne les oubliait pas. Bien avant que la lettre soit parvenue au
professeur Grandin, M. Moreau en recevait une du chef de gare :
« Qu’est-ce que je vais faire de ces animaux ? Ils sont maintenant 64. »
M. Moreau répondit qu’il fallait garder les cochons d’Inde à la gare jusqu’à
ce que le différend soit réglé. Lambin regarda ses pensionnaires et soupira. La
caisse à savon était devenue beaucoup trop petite. Il délimita avec des planches
un enclos au fond de son bureau et les y installa.
Le président finit par recevoir la réponse du professeur Grandin. Dans une
longue et savante lettre il déclarait que les cochons et les cochons d’Inde appar
tenaient à des espèces bien différentes, comme cela saute aux yeux du premier
coup. M. Moreau écrivit donc à Lambin de livrer les 64 animaux à M. Grand
maison, contre versement de la somme de 200 francs par tête.
Le chef de gare perdit une journée à compter ses pensionnaires en les
faisant passer par une petite ouverture de leur enclos.
« II y a peut-être eu un jour 64 cochons d’Inde, écrivit-il à M. Moreau,
mais j’en ai maintenant 800. Dois-je faire payer pour 800 ? »
Le lendemain même il en naissait huit autres. Et quand Lambin reçut
l’ordre d’encaisser pour 800, il avait maintenant 4 064 cochons d’Inde à soigner.
Là-dessus il reçut le télégramme suivant :
« Encaissez seulement prix transport deux bêtes, à 200 francs l’une.
Livrez totalité animaux à destinataire. »
Le chef de gare courut d’une traite chez les Grandmaison. Mais, arrivé
devant la grille, il s’arrêta net. Une pancarte annonçait : « A vendre ». La
maison était vide ! Il questionna fiévreusement les gens du village, mais per
sonne ne connaissait la nouvelle adresse de M. Grandmaison. Il revint toujours
courant à la gare pour découvrir qu’il y avait 269 cochons d’Inde de plus qu’à
son départ. Il envoya une dépêche à M. Moreau :
« M. Grandmaison parti sans laisser d’adresse. Que faire ? »
Au reçu de ce télégramme, un des collaborateurs de M. Moreau se mit à
rire.
— Est-ce que Lambin ne sait pas que dans ces cas-là il faut nous renvoyer
la marchandise ?
Et il lui télégraphia.
Lambin engagea six hommes pour l’aider et ils travaillèrent sans relâche à
construire des cages. Les colis de cochons d’Inde se succédaient en flot ininter
rompu à destination du bureau de M. Moreau. A la fin de la semaine, ils avaient
expédié 280 cages... Finalement, Lambin vit approcher la fin de ses malheurs.
— Plus qu’un wagon et j’en serai débarrassé, soupira-t-il. Mais, aussi
longtemps que je serai chef de gare ici, les cochons seront des animaux d’appar
tement... Somme toute, ç’aurait pu être pire, si au lieu de cochons d’Inde ç’avait
été des éléphants...