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           referma autour de son encolure et l’attira, tout   trine de ses sabots de devant, me projetant dans
           renâclant, vers la barrière. Georges lui passa un   la poussière. Furieusement, il renouvela son
           licol dont il me tendit l’autre bout en disant :   attaque, hennissant et montrant les dents, mais je
             — On l’appelle « Minuit ». Tu vas le panser,     parvins à me rouler assez à l’écart.
           l’amener à l’écurie et je te donnerai son             Alors je compris pourquoi Georges avait gardé
           harnachement.                                      son lasso à la main. En un tournemain, il encorda
                                                              le cheval et le ramena contre lui. Puis il me
                            Le rebelle                        regarda m’épousseter.
                                                                 — Ça va ? me demanda-t-il.
                       conduisis Minuit hors de l’enclos,        — Oui, répondis-je, haletant. Joli coup de
                     je l’attachai à la barrière, puis, empoi­  lasso...
                     gnant une étrille, je commençai à lui       — Veux-tu essayer un autre cheval aujour­
           nettoyer le poil. Tout alla bien jusqu’à l’instant   d’hui et reprendre celui-ci quand tu te sentiras
           où mon étrille effleura un endroit sensible sur    mieux ?
           l’un de ses jarrets arrière. Sa ruade fut si rapide   — Ah ! non, m’écriai-je. Donnez-moi une
           que j’eus tout juste le temps de faire un bond de   selle, et je vais apprendre à ce sauvage comment
           côté. Il tourna la tête, me regarda droit dans les   je m’appelle !
           yeux, et je compris fort bien qu’il n’avait pas peur   Georges se tourna vers un autre cow-boy :
           de moi.                                               — Va chercher un harnachement, Microbe,
              On peut deviner le caractère d’un cheval         lui dit-il. L’Asperge et Minuit veulent faire
           d’après sa tête. Minuit avait des oreilles courtes,   connaissance...
           un front large et des yeux très espacés, signe        Parfait! Maintenant, il m’appelait « l’Asperge»
           d’intelligence. Je fus persuadé qu’avec une phy­    et non plus « Petit ». J’avais fait des progrès dans
           sionomie pareille ce cheval ne pouvait être         son estime !
           vicieux. Mais c’était un rebelle, en guerre ouverte   — Veux-tu que je le tienne pendant que tu le
           contre les hommes.                                  montes ? reprit Georges après que, non sans mal,
              — Ça suffira comme ça, me dit Georges qui        nous eûmes sellé Minuit.
           était maintenant en selle, le lasso à la main.        — Pas la peine, répondis-je fièrement. Je vais
              Au moment où je détachais Minuit de la           tâcher de monter sans l’effaroucher...
           barrière, je remarquai que, tout en faisant sem­      Georges détacha le cheval. Je saisis la bride de
           blant de s’affairer, les autres cow-boys m’obser­   la main gauche, empoignai de la droite le
           vaient du coin de l’œil, vraisemblablement pour     pommeau de la selle, attirai doucement la bête
           voir si je me risquerais à monter la bête ou si je   vers moi et sautai en selle. Chose étonnante :
           la mènerais par la bride à l’écurie. Piqué au vif,   Minuit ne réagit pas.
           je résolus de courir ma chance.                       Joe, le chef, nous attribua alors notre tâche
              Adroitement, je fis passer un tour de corde      pour la journée. Nous devions parcourir une
           autour des naseaux de Minuit, et je me trouvai      certaine zone du domaine et ramener au ranch
           sur son dos avant qu’il ait compris ce qui lui arri­  toutes les bêtes à cornes que nous trouverions.
           vait. La séance commença par une impression­
           nante série de « sauts de mouton » désordonnés                Le fourré de cactus
           qui se répercutaient douloureusement dans mon
           échine et faisaient claquer mes dents. Les cow-              out le monde se mit au travail. Minuit
           boys se mirent à pousser des cris qui auraient suffi          secouait sans cesse la tête, car le mors
            à affoler n’importe quelle bête, mais je parvins                gênait, mais il avait le pied sûr et
            cependant à maintenir haut la tête de Minuit       rapide, ous avions déjà poussé quelques bœufs
            et le conduisis tant bien que mal jusqu’aux        vers le vallon du ranch lorsque j’aperçus, émer­
            écuries. Là, je me laissai rapidement glisser à    geant des buissons, la plus longue paire de
            terre, n’ayant aucune envie de prolonger l’expé­   cornes que j’aie jamais vue. A mon approche, la
            rience tant qu’il n’aurait pas une selle sur le dos.  bête tenta de fuir, mais je la gagnai de vitesse et
              Je voulus le débarrasser du bout de corde qui    la rabattis vers le vallon.
            lui cerclait les naseaux. Mais à peine l’avais-je    Soudain, le bœuf bondit par-dessus un obstacle.
            touché qu’il se cabra et me frappa en pleine poi­  J’étais lancé trop vite pour pouvoir m’arrêter : il
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