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72 « MINUIT », CHEVAL SAUVAGE
referma autour de son encolure et l’attira, tout trine de ses sabots de devant, me projetant dans
renâclant, vers la barrière. Georges lui passa un la poussière. Furieusement, il renouvela son
licol dont il me tendit l’autre bout en disant : attaque, hennissant et montrant les dents, mais je
— On l’appelle « Minuit ». Tu vas le panser, parvins à me rouler assez à l’écart.
l’amener à l’écurie et je te donnerai son Alors je compris pourquoi Georges avait gardé
harnachement. son lasso à la main. En un tournemain, il encorda
le cheval et le ramena contre lui. Puis il me
Le rebelle regarda m’épousseter.
— Ça va ? me demanda-t-il.
conduisis Minuit hors de l’enclos, — Oui, répondis-je, haletant. Joli coup de
je l’attachai à la barrière, puis, empoi lasso...
gnant une étrille, je commençai à lui — Veux-tu essayer un autre cheval aujour
nettoyer le poil. Tout alla bien jusqu’à l’instant d’hui et reprendre celui-ci quand tu te sentiras
où mon étrille effleura un endroit sensible sur mieux ?
l’un de ses jarrets arrière. Sa ruade fut si rapide — Ah ! non, m’écriai-je. Donnez-moi une
que j’eus tout juste le temps de faire un bond de selle, et je vais apprendre à ce sauvage comment
côté. Il tourna la tête, me regarda droit dans les je m’appelle !
yeux, et je compris fort bien qu’il n’avait pas peur Georges se tourna vers un autre cow-boy :
de moi. — Va chercher un harnachement, Microbe,
On peut deviner le caractère d’un cheval lui dit-il. L’Asperge et Minuit veulent faire
d’après sa tête. Minuit avait des oreilles courtes, connaissance...
un front large et des yeux très espacés, signe Parfait! Maintenant, il m’appelait « l’Asperge»
d’intelligence. Je fus persuadé qu’avec une phy et non plus « Petit ». J’avais fait des progrès dans
sionomie pareille ce cheval ne pouvait être son estime !
vicieux. Mais c’était un rebelle, en guerre ouverte — Veux-tu que je le tienne pendant que tu le
contre les hommes. montes ? reprit Georges après que, non sans mal,
— Ça suffira comme ça, me dit Georges qui nous eûmes sellé Minuit.
était maintenant en selle, le lasso à la main. — Pas la peine, répondis-je fièrement. Je vais
Au moment où je détachais Minuit de la tâcher de monter sans l’effaroucher...
barrière, je remarquai que, tout en faisant sem Georges détacha le cheval. Je saisis la bride de
blant de s’affairer, les autres cow-boys m’obser la main gauche, empoignai de la droite le
vaient du coin de l’œil, vraisemblablement pour pommeau de la selle, attirai doucement la bête
voir si je me risquerais à monter la bête ou si je vers moi et sautai en selle. Chose étonnante :
la mènerais par la bride à l’écurie. Piqué au vif, Minuit ne réagit pas.
je résolus de courir ma chance. Joe, le chef, nous attribua alors notre tâche
Adroitement, je fis passer un tour de corde pour la journée. Nous devions parcourir une
autour des naseaux de Minuit, et je me trouvai certaine zone du domaine et ramener au ranch
sur son dos avant qu’il ait compris ce qui lui arri toutes les bêtes à cornes que nous trouverions.
vait. La séance commença par une impression
nante série de « sauts de mouton » désordonnés Le fourré de cactus
qui se répercutaient douloureusement dans mon
échine et faisaient claquer mes dents. Les cow- out le monde se mit au travail. Minuit
boys se mirent à pousser des cris qui auraient suffi secouait sans cesse la tête, car le mors
à affoler n’importe quelle bête, mais je parvins gênait, mais il avait le pied sûr et
cependant à maintenir haut la tête de Minuit rapide, ous avions déjà poussé quelques bœufs
et le conduisis tant bien que mal jusqu’aux vers le vallon du ranch lorsque j’aperçus, émer
écuries. Là, je me laissai rapidement glisser à geant des buissons, la plus longue paire de
terre, n’ayant aucune envie de prolonger l’expé cornes que j’aie jamais vue. A mon approche, la
rience tant qu’il n’aurait pas une selle sur le dos. bête tenta de fuir, mais je la gagnai de vitesse et
Je voulus le débarrasser du bout de corde qui la rabattis vers le vallon.
lui cerclait les naseaux. Mais à peine l’avais-je Soudain, le bœuf bondit par-dessus un obstacle.
touché qu’il se cabra et me frappa en pleine poi J’étais lancé trop vite pour pouvoir m’arrêter : il