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CHASSEUR DE FAUVES                                         47


        mon fusil. Sous ce couvert épais, je ne peux pas
        distinguer la tête de la queue... J’ai terriblement                        cracheur
        envie de tirer, mais si je ne faisais que le bles­                           Il y a quantité de
        ser ?... Une petite brise traverse alors les bam­                          reptiles dans la forêt
        bous, l’éléphant sent notre odeur et disparaît en                          d’Ituri, et l’on compte
        un instant.                                                                parmi eux de nom­
                                                                                   breux cracheurs. Quand
          Nous rentrons péniblement au camp, Saseeta
                                                                                   on le dérange, le cobra
        et moi. Au village, tout le monde est déçu de mon                          cracheur se dresse et
        échec, c’est à peine si l’on échange quelques mots.                        déploie son « capu­
        Mais après tout, si l’on réussissait à tous les                            chon » comme un
        coups, cela manquerait d’attrait.                                          cobra ordinaire. Mais
                                                                                   ces étranges et terribles
          Le lendemain matin, un coureur fait irruption
                                                             animaux peuvent véritablement projeter sur vous
        dans le camp. Pendant la nuit, le solitaire a sac­
                                                             leur venin. Ce poison n’est pas très dangereux
        cagé un autre shamba, à 5 kilomètres de là.          pour la peau, sauf s’il pénètre dans une blessure
          Nous partons immédiatement, Saseeta et moi.        ouverte, mais le serpent est assez rusé pour vous
        Au village sinistré, quelques indigènes s’offrent à   viser aux yeux. Son venin est extrêmement dou­
        nous servir de guides. Nous relevons la piste du     loureux et peut rendre aveugle. Le serpent qui se
                                                             prépare à l’attaque rejette la tête en arrière et
        grand mâle. Je connais maintenant chaque ongle
                                                             dirige ses crochets de venin dans la direction du
        de ses grands pieds. Nous marchons sur ses traces    visage de l’homme. Puis il contracte les muscles de
        aussi rapidement que possible et nous arrivons       ses glandes à venin et le liquide jaune jaillit des
        enfin à un endroit où l’éléphant s’est couché pour   crochets en deux jets portant à trois mètres. J’ai
        dormir. C’est une chance, car s’il avait filé sans   le regret de vous dire que ces reptiles sont
                                                             d’excellents tireurs...
        s’arrêter nous n’aurions jamais pu le rattraper.
        Pendant que nous vérifions ses traces, un de
        nos guides indigènes revient en hâte nous            J’ai à peine le temps de lever mon fusil qu’il
        annoncer qu’il a entendu du bruit dans les bam­    est sur nous. Ses grandes oreilles sont ramenées
        bous devant nous. Nous avançons, Saseeta et moi,   en arrière contre sa tête, sa trompe baissée, collée
        le plus doucement possible. Le vent est régulier   à la partie inférieure de sa poitrine. Il pousse des
        maintenant et nous favorise. Nous allons lente­    cris de rage perçants. Du canon droit, je vise le
        ment parmi les hautes tiges. Tout à coup nous      milieu de son crâne et tire. Durant un instant,
        entendons l’éclatement d’une tige de bambou que    après le coup, il a l’air suspendu au-dessus de moi,
        l’on arrache. Le solitaire est juste devant nous.   puis il tombe avec fracas. Il gît, caché en partie
        Le bruit qu’il fait en mangeant l’empêche de       par les bambous, poussant des cris aigus mêlés
        nous entendre : si le vent tient, nous l’avons !   de gargouillements. Je tire, du second canon de
          Je vois sa trompe apparaître au-dessus des tiges   mon fusil, au milieu de son cou. Instantanément,
        et attirer une pousse. Je rampe, cherchant à voir   tout le corps se détend, les pattes de derrière
        entre les tiges et regardant en même temps où je   complètement allongées. Ainsi finit le prédateur
        mets les pieds. Soudain, j’aperçois le solitaire, à   qui sema la terreur et la mort dans la tribu du
        moins de 15 m de moi.                              chef Ngiri.
          Un réseau de bambous nous sépare et je n’ose       J’examine les défenses du solitaire abattu et
        tirer à travers, de crainte que la balle ne soit déviée   découvre une trace de balle à la naissance de la
        par l’une de ces robustes tiges. Encore un de ces   défense droite. De mon couteau, j’extrais une
        terribles problèmes : faut-il courir le risque et   balle de mousquet, probablement tirée par un
        tirer, ou dois-je attendre quelques minutes dans   chasseur d’ivoire, des années auparavant. Ce pro­
        l’espoir que l’animal changera légèrement de posi­  jectile s’est enfoncé dans le centre nerveux de la
        tion, m’offrant pour cible son épaule ? Il faut se   défense et a dû causer à l’animal une douleur
        décider rapidement car nous sommes si près que     atroce. La souffrance constante aura rendu fou
        notre odeur va lui parvenir, même en l’absence     le vieil éléphant, faisant de lui un solitaire. A ma
        de vent.                                           connaissance, un éléphant ne se transforme
          Soudain, il nous voit. Il ne s’enfuit pas comme   jamais en solitaire à moins d’avoir été blessé d’une
        la veille. Sans l’ombre d’une hésitation, il fait   façon ou d’une autre.
        demi-tour et charge.                                  De retour au camp, nous sommes fêtés, Saseeta
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