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46 CHASSEUR DE FAUVES
Je guidais alors deux sportifs canadiens dans dain, devant nous, un craquement se fait enten
la forêt d’Aberdare, au Kenya. Deux coureurs, dre. Le solitaire broute un bosquet de bambous,
envoyés par le chef du village où l’éléphant avait à quelques mètres de nous.
tué, nous rejoignirent pour me demander de les Une fois dans les bambous, nous pouvons nous
aider à supprimer cette brute. C’était un « soli relever et marcher prudemment en direction des
taire » qui avait détruit des plantations et terro craquements. Le vent est irrégulier, il souffle tan
risait le district depuis plusieurs mois. Mes deux tôt dans une direction, tantôt dans une autre.
clients furent d’accord pour que je parte immédia Comment être sûrs que l’on reste sous le vçnt de
tement avec les coureurs. J’emmenai avec moi l’éléphant ? Je sais que nous sommes tout près de
mon porteur de fusil, un indigène nommé Saseeta. lui, mais je ne distingue pas grand-chose entre
Quand nous parvenons au village, Ngiri, le les hautes tiges de bambous qui nous entourent de
chef, me déclare que les indigènes ont peur de toutes parts.
s’aventurer dans les shambas (c’est le nom qu’ils Saseeta s’arrête et fait un geste vers la gauche.
donnent à leurs champs de maïs) et que plusieurs Je ne vois toujours rien, mais je lève mon fusil
d’entre eux ne veulent même plus sortir de leurs et retiens mon souffle, prêt à tirer. Pendant quel
cases. Le solitaire va de village en village, sacca ques secondes, le silence est absolu. Puis nous
geant au passage les champs de maïs et, si on ne le entendons les bambous craquer et se balancer,
tue pas, les villageois seront vraiment dans une l’éléphant s’est retourné pour s’enfuir à toute
grande détresse. vitesse dans le fourré. Nous nous regardons, très
Ngiri me conseille de ne pas partir tout de déçus. La brise a apporté notre odeur au solitaire.
suite car le solitaire va certainement saccager un Bien qu’il soit cinq heures du soir et que le
autre village dans la nuit et nous n’aurons plus soleil commence à décliner, nous suivons les
qu’à suivre ses traces fraîches, ce qui nous fera traces pendant une heure encore et entendons de
gagner du temps. Il a raison. Juste avant le cré nouveau le pachyderme bouger parmi les bam
puscule, un coureur vient nous dire que l’animal bous. J’aperçois tout à coup devant nous une
a ravagé la précieuse récolte de maïs d’un village silhouette floue. Je m’arrête pile et lève lentement
situé à quelque 8 kilomètres de là.
Nous relevons, Saseeta et moi,
les traces du pachyderme dans ce
village. Elles nous entraînent dans
le plus profond de la forêt d’Aber
dare. Nous franchissons à grand-
peine une zone de bambous serrés.
Les singes bondissent dans les
arbres au-dessus de nos têtes, et
nous parvenons à une clairière où
les indigènes ont coupé les arbres.
Je suis déçu de voir que le solitaire
a fui l’odeur détestée de l’homme :
brisant les bambous sur son pas
sage, il a foncé à travers les
fourrés. Cet animal qui ne redoute
pas l'odeur de l’homme, la nuit
dans les shambas, est souvent
frappé de panique s’il la trouve
dans la jungle.
Les traces nous font escalader
une pente très raide et nous arri
vons sur une crête élevée où il
faut ramper sur les mains et sur
les genoux dans un enchevêtre
ment de bruyère et d’orties. Sou