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                                    LE MYSTÈRE DE l’ÉCRITURE TREMBLÉE

           La police chercha évidemment à vérifier auprès     Telle est l’opinion que j’exprimai au cours du
         du caissier de la banque si la femme de l’inculpé   procès Morvay, mais elle ne suffit pas à sauver
         était bien la personne qui avait effectué le dépôt   l’accusé. Les preuves contraires —- sa connaissance
         de 480 000 pengos. Mais, par un étrange coup       du chiffre du coffre, ses empreintes digitales, ses
         du destin, cet employé, un homme d’un certain      dépenses anormales et excessives — parurent
         âge, était mort d’une crise cardiaque peu après    accablantes. Morvay fut déclaré coupable et
         le Nouvel An. Et comme, en Hongrie, on n’exige     envoyé en prison.
         pas de la personne qui fait un dépôt en banque       Les choses auraient pu en rester là, mais le
         qu’elle donne son adresse, les seules traces de    souvenir de cette affaire m’obsédait. J’étais cer­
         l’opération dont disposait la police étaient deux   taine que ce n’était pas Anna Morvay qui avait
         signatures « Anna Nagy », l’une sur la fiche de    déposé cet argent à la banque. C’était donc quel­
         dépôt, l’autre sur la carte d’identification de signa­  qu’un d’autre. Mais qui ?
         ture, conservée par la banque.                       Je téléphonai à l’avocat de Morvay :
                                                              — Je voudrais m’entretenir avec votre client,
                    Les deux écritures                      lui dis-je.
                                                              — Pourquoi ?
                                                              — Parce que je le crois innocent. Je suis cer­
         C  ’est là que j’intervenais dans l’affaire. Le tri­  taine d’une chose : ce n’est pas sa femme qui a
              bunal me demandait de comparer les deux
            signatures avec des spécimens de l’écriture de  déposé l’argent à la banque. Peut-être qu’en les
         Mme Morvay. Un rapide coup d’œil suffisait pour    voyant tous deux successivement je trouverai une
         s’assurer qu’il n’existait entre elles aucune ressem­  piste nouvelle qui permettra de faire réviser le
         blance. Alors que l’écriture de Mme Morvay était   procès.
         ferme et assurée, l’autre, au contraire, était toute
         tremblée.                                               Coupable ou non coupable ?
           A cela, la police proposa deux explications : ou
         bien Anna Morvay avait volontairement déguisé          lexandre Morvay était assis dans sa cellule,
         son écriture (et c’était bien compréhensible) ou   A    prostré, vaincu. Il protesta de sa parfaite
         bien ce tremblement trahissait un état de nervosité    innocence, mais comment la prouver ? Toutes les
         temporaire. Après tout, si Anna Morvay avait       preuves étaient contre lui au point que personne
         déposé à la banque de l’argent volé, n’avait-elle   d’autre n’avait même été soupçonné.
         pas quelque raison d’être émue ? D’ailleurs, si ce    Il reconnaissait avoir ouvert le coffre le ven­
         n’était pas elle qui avait déposé cet argent, qui   dredi en question, mais seulement pour en retirer
         était-ce ? Les journaux avaient donné toutes sortes   l’argent nécessaire à la paye du personnel, comme
         de détails sur cette affaire et pourtant aucune    il le faisait chaque semaine. Il reconnaissait avoir
         autre Anna Nagy ne s’était fait connaître pour     été le dernier à quitter le bureau. Il reconnaissait
         déclarer que l’argent lui appartenait. L’avocat de   avoir fait ses emplettes le lendemain de Noël en
         Morvay, de son côté, n’était pas resté inactif. Il   compagnie de sa femme. Il reconnaissait avoir
         avait suivi les pistes de toutes les Anna Nagy     dépensé 20 000 pengos, somme pour eux consi­
         qu’il avait pu découvrir dans les annuaires et sur   dérable, mise de côté peu à peu depuis quatre
         les listes électorales de la ville sans trouver le   ans qu’ils étaient mariés.
         moindre renseignement utile.                          Je lui demandai si, à sa connaissance, quelque
           J’emportai la fameuse signature à mon labora­    autre employé connaissait le chiffre du coffre.
         toire. Un examen approfondi effectué sur un        Non, me dit-il. Que pensait-il de ce versement
         agrandissement photographique m’enleva toute       de 480 000 pengos, fait au nom de sa femme ?
         espèce de doute : la signature figurant sur la fiche   Rien. Et sa femme avait juré, au cours du procès,
         de dépôt n’était pas une contrefaçon de l’écriture   que la signature apposée au bas de la fiche de
         de Mme Morvay mais bel et bien l’écriture nor­     dépôt n’était pas la sienne.
         male d’une autre femme. Le tremblement semblait       J’allai ensuite rendre visite à Anna Morvay.
         résulter de quelque maladie ou déficience phy­     Je fus bouleversée par cette rencontre. Elle était
         sique qui rendait difficile l’usage de la plume.   hospitalisée à la suite d’une dépression nerveuse.
         En outre, la signataire était probablement beau­   Je n’en pus rien tirer d’autre que des protestations
         coup plus âgée que Mme Morvay.                     frénétiques sur sa propre innocence et celle de
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