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44 CHASSEUR DE FAUVES
aller n'importe où, semblait-il, sùr que mes ser Aussitôt les Masaï l'attaquèrent, poussant leurs
vices seraient les bienvenus. cris sauvages et volant à sa suite parmi les hautes
J’ai dû pourtant en rabattre un jour au cours herbes jaunes. Alourdi par son plantureux repas,
d'un séjour dans une petite collectivité Masaï, le fauve n’alla pas loin. Il s’arrêta et se retourna
non loin du lac Magadi. La nuit précédente, un pour faire face. Les hommes s’égaillèrent pour
lion avait franchi la borna, clôture d’épines haute l’encercler.
de quatre mètres qui entourait le village, pris une Il les laissa approcher jusqu’à une quarantaine
vache et sauté de nouveau par-dessus la clôture, de mètres. Je vis clairement qu’il se préparait à
la vache dans sa gueule. Je sais que cela paraît charger. Il tenait la tête baissée, juste au-dessus
incroyable, la vache pesant probablement deux fois de ses pattes de devant largement écartées, et
plus que lui. Mais un lion accomplit pareil exploit l’arrière-train légèrement cambré de façon à pou
aussi facilement qu’un renard emporte un poulet. voir lancer ses pattes de derrière très en avant et
Il se glisse en partie sous le cadavre dont il fait faire le saut maximum dès son départ. Il se mit
passer le poids sur son dos, sans lâcher la gorge à enfoncer ses griffes dans le sol, à peu près
de la vache qu’il tient dans sa gueule. comme un coureur enfonce les pointes de ses
J’étais prêt à partir sur la trace du fauve, le chaussures pour être sûr de ne pas glisser à sa
lendemain matin, mais les moran de cette collec première foulée.
tivité me déclarèrent qu’ils n’avaient pas besoin J’observais le mouvement de sa queue. Juste
de moi. Ils entendaient liquider ce lion eux- avant de charger, le lion agite toujours trois fois
mêmes. A l’époque, j’avais peine à croire que des la touffe de poils qui termine sa queue. A la troi
hommes armés de lances pussent arriver à tuer sième saccade, il fonce sur vous comme un bolide.
un lion. Je demandai la permission de les accom Les indigènes savaient aussi bien que moi que
pagner et d’emporter mon fusil. On accéda poli l’animal se préparait à attaquer. D’un seul mou
ment à mon désir... et je ne doutai pas un instant vement, tous les bras armés de lances s’incli
que c’était à moi que reviendrait le soin de tuer nèrent en arrière pour le lancement. Les hommes
tous les lions que nous pourrions rencontrer. étaient dans un tel état de tension nerveuse que
Nous partîmes au point du jour. Je suivais les les muscles de leurs épaules frémissaient légère
guerriers armés de lances. Ils étaient dix, des ment, ce qui faisait jouer le soleil sur les fers de
hommes superbes, minces mais bien musclés. lances.
Aucun ne mesurait moins de un mètre quatre- Soudain, le bout de la queue du lion se mit à
vingts. Pour avoir la liberté de ses mouvements, s’agiter. Une, deux, trois saccades ! L’animal bon
chacun avait enlevé son unique vêtement, longue dit... Aussitôt, une demi-douzaine de lances volè
pièce d’étoffe drapée sur les épaules, et l’avait rent vers lui. L’une d’elles s’enfonça dans son
enroulé autour de son bras gauche. Ils portaient épaule, mais il ne s’arrêta pas dans sa course.
leurs boucliers aux couleurs éclatantes en équi L’un des moran se trouvait sur sa route, un
libre sur l’épaule. Dans la main droite, ils tenaient très jeune homme à sa première chasse. Le garçon
leur lance, tandis que leur simis à double tran ne broncha pas. Tenant son bouclier devant lui
chant, lourd couteau long de près de 60 cm, était il se raidit pour recevoir la charge et se pencha
attaché à leur taille. Ils arboraient leur coiffure légèrement en arrière afin de mettre tout le poids
de plumes d’autruche, comme s’ils partaient en de son corps dans son coup de lance. D’une
guerre, et des bracelets de fourrure autour des chiquenaude, le lion fit sauter le bouclier comme
chevilles. A part cela, ils étaient complètement si c’était un bout de carton. Puis il se dressa et, de
nus. ses pattes tendues, il essaya d’attirer le garçon
Nous relevâmes les traces du lion et les moran contre lui...
s’engagèrent à sa suite. L’animal s’était repu de la Le moran enfonça sa lance à 60 cm de pro
vache pendant la nuit et il était couché dans un fondeur au moins dans la poitrine du fauve. Mor
épais fourré. Les moran lancèrent des pierres tellement blessée, la bête bondit sur lui et le jeune
dans les buissons jusqu’à ce que les sauvages gron guerrier tomba sous le poids du grand félin.
dements du fauve prouvent qu’il avait été touché. Immédiatement, tous les autres moran entou
Alors, les fourrés commencèrent à frémir et tout rèrent le lion mourant. Trop rapprochés pour
à coup le lion surgit à cent mètres de nous et user de leurs lances, ils se servirent de leurs simis.
s’éloigna en bondissant dans la plaine. En quelques secondes, la bête était morte.