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CHASSEUR DE FAUVES                                         45


           J’ai soigné ce jeune homme. Ses blessures        nait en arrière. Soudain, la bête se redressa, frap­
        étaient absolument effroyables, mais il n’avait pas   pant à coups de pattes de droite et de gauche les
        l’air de s’en soucier le moins du monde. Je l’ai    hommes qui l’encerclaient. Je voyais ses coups
        recousu avec une aiguille et du fil et il n’y a pas   porter, mais personne ne recula.
        fait plus attention que si je lui avais caressé le    Us m’ont dit plus tard qu’au moment où ils
        dos. J’espère qu’il s’en est tiré. Ce jour-là, il a   se font écharper ils ne ressentent jamais la dou­
        certainement eu droit à tous les honneurs.          leur : ils sont trop excités. Le lion est dans le
           Les Masaï estiment que l’acte le plus coura­     même cas, semble-t-il, et les deux adversaires
        geux que puisse accomplir un homme consiste à       continuent la lutte jusqu’à ce que l’un d’eux,
         attraper le lion par la queue et à le maintenir    ayant perdu tout son sang, s’écroule.
        pour que les autres guerriers puissent s’en appro­    La lionne s’affaissa lentement sur le sol. Je ne
        cher avec leurs lances et leurs simis. Celui qui    vis plus alors que les lames étincelantes des simis.
        accomplit quatre fois cet exploit reçoit le titre de   Après le combat, je soignai comme je pus les
        melombuki et prend le rang de capitaine. Je ne      blessés.
        pense pas que deux Masaï sur mille deviennent         Ces guerriers m’ont dit que l’arme la plus dan­
        jamais melombuki malgré leur ardeur à se            gereuse du lion n’est ni ses crocs ni ses griffes
        disputer cet honneur.                               proprement dites, mais les « ergots » situés sur-
           J’ai vu plusieurs de ces tentatives de « tirage de   la face interne de ses pattes de devant. Ces griffes
        queue. » Il est miraculeux que les hommes qui s’y   supplémentaires ont environ 5 cm de longueur
        livrent puissent en sortir vivants.                et correspondent à peu près à nos pouces humains.
           Je me souviens d’une chasse à laquelle partici­  Recourbées, très aiguës et très fortes, elles sont
        paient plus de cinquante guerriers armés de         généralement repliées contre les pattes, mais le
        lances. Ils avaient encerclé un lion et une lionne   lion peut les étendre presque à angle droit et,
        dans un petit bosquet. Tandis que le cercle des     grâce à elles, éventrer un homme d’un seul coup.
        guerriers hurlant se resserrait, les fauves se mirent   Aujourd’hui, le gouvernement interdit les
         à gronder. Puis le lion surgit de son abri à l’im-   grandes chasses au lion que les Masaï avaient
        proviste et prit sa course pour tenter de s’enfuir.   coutume de faire quand je suis venu dans leur
         Il se dirigeait tout droit sur deux moran qui      pays pour la première fois. Trop de jeunes
        levèrent leur lance.                                hommes y trouvaient la mort. Il ne reste plus
           Mais le grand fauve désirait seulement s’échap­  beaucoup de gens qui aient assisté à ces combats
        per. D’un bond puissant, il passa par-dessus la     acharnés.
        tête des deux guerriers.                              Après un séjour de trois mois au pays des
           La lionne, rèstée dans le fourré, poussait des   Masaï, j’ai regagné Nairobi, accompagné de deux
        rugissements rauques. Quand les moran parvin­       chariots à bœufs chargés de peaux de lions. En
        rent à une dizaine de mètres d’elle, les lances se   dix-neuf jours, j’avais tué 88 lions et 10 léopards.
        mirent à voler. L’une d’elles atteignit la bête qui
        sortit du fourré avec un hurlement de rage et de               L’éléphant solitaire
        douleur. Elle resta quelques secondes debout sur
        ses pattes de derrière, agitant celles de devant,   Ml J n soir, deux indigènes rentraient au village,
        dans l’attitude de ces lions que l’on voit sur les   sO quand ils virent une grosse masse noire,
        armoiries. Puis elle retomba et mordit la lance     immobile dans l’ombre des cases. Ils crièrent pour
        plantée dans son flanc. A cet instant, l’un des     effrayer la bête inconnue et la faire fuir. Immé­
        moran jeta sa lance et, bondissant en avant, saisit   diatement, quittant l’ombre, la masse chargea sur
        la lionne par la racine de sa queue.                eux à une vitesse affolante. Les hommes virent
           Un moran n’attrape jamais un lion par le fin     alors qu’il s’agissait d’un énorme éléphant mâle.
         bout de la queue, car l’animal peut la raidir        Ils partirent comme des fous dans toutes les
        comme un canon de fusil et, d’une seule saccade,    directions. L’un d’eux portait une couverture
         projeter l’homme de côté.                          rouge qui causa sa mort, car l’éléphant le suivit.
           Immédiatement, ses compagnons se précipi­        Blottis dans leurs cases, les villageois entendirent
         tèrent, jouant de leurs simis. La lionne enfonçait   les hurlements de l’homme au moment où le
         ses pattes de derrière dans le sol pour s’élancer en   pachyderme l’attrapa. L’énorme éléphant tua sa
         avant, mais l’homme accroché à sa queue la rete­   victime puis s’en alla.
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