Page 47 - Album_des_jeunes_1960
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CHASSEUR DE FAUVES 45
J’ai soigné ce jeune homme. Ses blessures nait en arrière. Soudain, la bête se redressa, frap
étaient absolument effroyables, mais il n’avait pas pant à coups de pattes de droite et de gauche les
l’air de s’en soucier le moins du monde. Je l’ai hommes qui l’encerclaient. Je voyais ses coups
recousu avec une aiguille et du fil et il n’y a pas porter, mais personne ne recula.
fait plus attention que si je lui avais caressé le Us m’ont dit plus tard qu’au moment où ils
dos. J’espère qu’il s’en est tiré. Ce jour-là, il a se font écharper ils ne ressentent jamais la dou
certainement eu droit à tous les honneurs. leur : ils sont trop excités. Le lion est dans le
Les Masaï estiment que l’acte le plus coura même cas, semble-t-il, et les deux adversaires
geux que puisse accomplir un homme consiste à continuent la lutte jusqu’à ce que l’un d’eux,
attraper le lion par la queue et à le maintenir ayant perdu tout son sang, s’écroule.
pour que les autres guerriers puissent s’en appro La lionne s’affaissa lentement sur le sol. Je ne
cher avec leurs lances et leurs simis. Celui qui vis plus alors que les lames étincelantes des simis.
accomplit quatre fois cet exploit reçoit le titre de Après le combat, je soignai comme je pus les
melombuki et prend le rang de capitaine. Je ne blessés.
pense pas que deux Masaï sur mille deviennent Ces guerriers m’ont dit que l’arme la plus dan
jamais melombuki malgré leur ardeur à se gereuse du lion n’est ni ses crocs ni ses griffes
disputer cet honneur. proprement dites, mais les « ergots » situés sur-
J’ai vu plusieurs de ces tentatives de « tirage de la face interne de ses pattes de devant. Ces griffes
queue. » Il est miraculeux que les hommes qui s’y supplémentaires ont environ 5 cm de longueur
livrent puissent en sortir vivants. et correspondent à peu près à nos pouces humains.
Je me souviens d’une chasse à laquelle partici Recourbées, très aiguës et très fortes, elles sont
paient plus de cinquante guerriers armés de généralement repliées contre les pattes, mais le
lances. Ils avaient encerclé un lion et une lionne lion peut les étendre presque à angle droit et,
dans un petit bosquet. Tandis que le cercle des grâce à elles, éventrer un homme d’un seul coup.
guerriers hurlant se resserrait, les fauves se mirent Aujourd’hui, le gouvernement interdit les
à gronder. Puis le lion surgit de son abri à l’im- grandes chasses au lion que les Masaï avaient
proviste et prit sa course pour tenter de s’enfuir. coutume de faire quand je suis venu dans leur
Il se dirigeait tout droit sur deux moran qui pays pour la première fois. Trop de jeunes
levèrent leur lance. hommes y trouvaient la mort. Il ne reste plus
Mais le grand fauve désirait seulement s’échap beaucoup de gens qui aient assisté à ces combats
per. D’un bond puissant, il passa par-dessus la acharnés.
tête des deux guerriers. Après un séjour de trois mois au pays des
La lionne, rèstée dans le fourré, poussait des Masaï, j’ai regagné Nairobi, accompagné de deux
rugissements rauques. Quand les moran parvin chariots à bœufs chargés de peaux de lions. En
rent à une dizaine de mètres d’elle, les lances se dix-neuf jours, j’avais tué 88 lions et 10 léopards.
mirent à voler. L’une d’elles atteignit la bête qui
sortit du fourré avec un hurlement de rage et de L’éléphant solitaire
douleur. Elle resta quelques secondes debout sur
ses pattes de derrière, agitant celles de devant, Ml J n soir, deux indigènes rentraient au village,
dans l’attitude de ces lions que l’on voit sur les sO quand ils virent une grosse masse noire,
armoiries. Puis elle retomba et mordit la lance immobile dans l’ombre des cases. Ils crièrent pour
plantée dans son flanc. A cet instant, l’un des effrayer la bête inconnue et la faire fuir. Immé
moran jeta sa lance et, bondissant en avant, saisit diatement, quittant l’ombre, la masse chargea sur
la lionne par la racine de sa queue. eux à une vitesse affolante. Les hommes virent
Un moran n’attrape jamais un lion par le fin alors qu’il s’agissait d’un énorme éléphant mâle.
bout de la queue, car l’animal peut la raidir Ils partirent comme des fous dans toutes les
comme un canon de fusil et, d’une seule saccade, directions. L’un d’eux portait une couverture
projeter l’homme de côté. rouge qui causa sa mort, car l’éléphant le suivit.
Immédiatement, ses compagnons se précipi Blottis dans leurs cases, les villageois entendirent
tèrent, jouant de leurs simis. La lionne enfonçait les hurlements de l’homme au moment où le
ses pattes de derrière dans le sol pour s’élancer en pachyderme l’attrapa. L’énorme éléphant tua sa
avant, mais l’homme accroché à sa queue la rete victime puis s’en alla.