Page 28 - Album_des_jeunes_1960
P. 28

26                            POUR MIEUX RÉDIGER VOS LETTRES


              en deux tons que nous vous avons expédiées ne corres­  « Puisque vous affirmez que l’une des tasses que
              pondait pas à votre demande, nous tenons à vous prier   vous nous aviez commandées vous est arrivée avec une
              d'accepter toutes nos excuses pour l’erreur commise. »  anse brisée, nous nous verrons contraints de la
                                                                 remplacer. »
                Je lui conseillai de supprimer tous les mots qui
              netaient pas absolument indispensables, et voici quel   La direction du magasin ne mettait pas catégorique­
              fut le résultat de cette censure : « Nous vous prions   ment en doute la parole de ma femme, mais le « vous
              d’excuser l'erreur commise. » Cette seconde version,   affirmez » contenait une accusation assez sournoise de
              dépouillée de tous les mots inutiles, disait clairement ce   malhonnêteté. Pourquoi ne pas avoir écrit :
              quelle voulait dire.
                                                                   « Nous sommes désolés d’apprendre que l’une des
                Ma tante Claire habite une petite ville qui, sous sa   tasses que vous nous aviez commandées est arrivée
                                                                 cassée. Bien entendu, nous vous la remplaçons immé­
              plume, donne l’impression d’être un endroit merveil­
                                                                 diatement. »
              leux. « Nous ne sommes qu’en avril, et il fait déjà si
              tiède, m’écrivait-elle au printemps dernier, que les
                                                                   Il y a quelques années, je fus chargé d’améliorer la
              arbres semblent verdir à vue d’œil. La vieille
                                                                 correspondance d’un certain nombre de services admi­
              Mme Jeanson soigne ses rhumatismes au soleil. »
                                                                 nistratifs d’une grande ville. Quantité de lettres, des­
                Emilie, la sœur de Claire, habite la même région.
                                                                 tinées à apaiser le public, obtenaient un effet diamétra­
              A quelques jours de distance, elle m’écrit :
                                                                 lement opposé. J’en pris une au hasard et lus :
                * Tu ne saurais imaginer quel temps désagréable
                                                                   « Si vous voulez bien nous adresser un échantillon
              nous avons. Chaud et sec, et nous ne sommes qu’au
                                                                 de votre article, nous en étudierons la valeur pratique,
              printemps ! On peut s’attendre à un été torride et à
                                                                 si valeur il y a. »
              une épouvantable sécheresse. Cette pauvre Mme Jean-
              son souffre beaucoup de ses rhumatismes. »           J’expliquai aux intéressés la nécessité d’adopter un
                                                                 ton courtois dans leur correspondance. Et l’un d’eux,
                On comprend facilement pourquoi tout le monde
                                                                 après avoir poursuivi avec une contribuable particu­
              préfère les lettres de Claire à celles d’Emilie : Claire
                                                                 lièrement mécontente un échange épistolaire orageux,
              obéit à un autre principe important : Mettez l’accent
                                                                 se décida à lui adresser la lettre qui suit :
              sur les éléments positifs. En affaire, ce ton constructif,
              optimiste, est extrêmement important. Un marchand de     « Madame,
              matériaux de construction s'étonnait de voir qu’un nou­  * Vous ne le croirez peut-être pas, mais nos services
              veau type de poutre, supérieur à l’ancien, se vendait   sont là pour vous aider à aplanir vos difficultés. »
              moins bien. Il découvrit que l’employé chargé de
                                                                   La contribuable, dans sa réponse, avoua que ce qui
              répondre aux commandes s’y prenait de la façon
                                                                 l’avait exaspérée, c’était moins le problème qu’elle avait
              suivante :
                                                                 à résoudre que le ton des lettres qu’elle avait reçues.
                « Cher Monsieur, j’ai le regret de vous informer que   Mais, toutes ces règles mises à part, autre chose
              nous ne tenons plus le type de poutre que vous nous   compte dans une lettre : c’est cette qualité indéfinis­
              demandez. Nous nous permettons toutefois de vous   sable qui émane de la personnalité même de celui qui
              proposer un nouvel article qui répondra peut-être à vos   écrit. Elle ne s’enseigne pas, mais elle peut s’acquérir.
              besoins. »                                         La lettre qui suit, récemment écrite par le directeur
                                                                 d’une grande entreprise, illustre parfaitement ma
                On remplaça ce texte négatif par la formule
                                                                 pensée :
              suivante :
                                                                   « Cher Monsieur, vous me témoignez une amitié
                « Cher Monsieur, j’ai le plaisir de vous adresser   généreuse et délicate en prenant la peine de me féli­
              quelques échantillons de notre nouveau modèle de   citer pour ma récente nomination. J’apprécie vivement
              poutre. Cet article existe dans une gamme de tons et   vos bons vœux auxquels vous voudrez bien, je l’espère,
              de grains beaucoup plus variée que l'ancien et constitue   ajouter quelques prières. J’aurai certainement besoin
              un grand progrès sur celui que vous nous demandiez. »  des uns et des autres. Merci mille fois, et du fond du
                                                                 cœur. »
                L’une et l’autre lettres disaient la vérité, mais la
              seconde présentait l’article sous un jour positif. Immé­  Vous remarquerez le naturel de ces quelques lignes,
              diatement, le chiffre des ventes se mit à monter.  leur sobriété. Dans cette lettre rien de superflu ; pour­
                On ne saurait croire combien de lettres laissent   tant, elle ne donne à aucun moment une impression de
              percer, de la part de leur auteur, une hostilité involon­  hâte ou de sécheresse. Avec un peu d’application et de
              taire. Il y a quelques jours, ma femme reçut d’un   réflexion, nous pouvons faire que chacune de nos
              magasin ces quelques lignes :                      lettres atteigne pareillement son but.
   23   24   25   26   27   28   29   30   31   32   33