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J’ai tué le cachalot blanc



































                           Récit (I’Amos Smalley recueilli par Max Eastman

           De toutes les légendes de la pêche baleinière,   bien des années, Ashab finit par retrouver « Moby
         la plus connue est sans doute celle de cette gigan­  Dick ». A l’issue d’un combat terrible qui dure
         tesque baleine blanche, « Moby Dick », qui causa   trois jours, la baleine triomphe. Elle éventre le
         la perte de tant de marins. Sa célébrité est due   navire, et le Pequod sombre, entraînant dans la
         en grande partie au roman de Herman Melville,      mort tout l’équipage, à l’exception d’un matelot.
         Moby Dick, paru en 1851, et dont on a tiré un        Depuis des générations cette légende hante
         film.                                              l’imagination de bien des gens. Mais, après tant
           Ce roman nous conte l’histoire du capitaine      d’années, on a pu tout récemment recueillir le
         Ashab, qui a perdu une jambe lors d’un premier     témoignage d’un homme qui se rappelle avoir vu
         combat avec le monstre. Depuis, il ne songe plus   et attaqué dans sa jeunesse une bête fabuleuse
         qu’à prendre sa revanche, et il parcourt les mers   semblable à celle dont Melville avait parlé dans
         sur son voilier le Pequod, à la recherche de son   son roman. Cet homme est un ancien harponneur,
         vieil adversaire. Il a cloué au grand mât une      un Indien nommé Amos Smalley. Agé aujour­
         pièce d’or, destinée à récompenser le marin qui,   d’hui de plus de quatre-vingts ans, il vit dans une
         le premier, signalera l'effrayante créature. Après   petite île. Ecoutons son récit.
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                ussi loin que remontent mes souvenirs,      nous passions notre temps à jouer aux harpon-
                  j’ai toujours rêvé d’aller chasser la     neurs, ce qui consistait à tirer à la cible avec de
                  baleine. Je suis né en 1877 dans une île   longs bâtons sur un vieux chapeau posé par terre.
                  voisine du port de New Bedford (au          Depuis mon enfance, je n’entendais parler que
         large de la côte du Massachusetts), qui était le   de baleines. Je savais que c’étaient les plus gros
         principal centre de l’industrie baleinière. Pen­   animaux vivants, et aussi les plus rusés. Mon
         dant des années, mon père avait été cambusier à    frère, qui avait fait campagne dans l’Arctique, me
         bord d’unités de la flottille de pêche. Mon frère   racontait toutes sortes d’histoires sur eux. Il y a
         était harponneur, et moi je n’avais qu’un désir :   la baleine « franche », qui se cache sous les
         le devenir aussi. Avec les autres gamins de l’île,   glaces quand on la pourchasse, la « jubarte »,
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