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ANNIE DU FAR WEST                                          23


                   Un concours de tir                       pulvérisée par la balle, le chien en attrapait le
                                                            plus gros morceau, se précipitait sur le devant de
            n réalité, Annie n’avait jamais vu l’Ouest des   la scène, se couchait avec le morceau de pomme
         E   Etats-Unis avant de franchir le Mississippi    entre les pattes et attendait pour le manger que le
            avec la Parade du Far West. Mais ses années  public applaudisse. Ce chien adorait son maître
         d’enfance passées dans les forêts de l’Ohio lui    et était jaloux de tous ceux qui essayaient de se
         avaient donné une endurance de pionnier.           lier d’amitié avec lui, surtout des femmes.
           Quand Annie eut onze ans, on la jugea assez        Ce soir-là, il prit comme d’habitude le plus gros
         grande pour manier un fusil et, avec la vieille    morceau de pomme et courut jusqu’au bord de la
         carabine de son père, elle réussit vite à abattre   scène. Mais, au lieu de se coucher, il sauta dans
         des cailles et d’autres oiseaux sauvages.          la salle, courut vers Annie et posa le nez sur ses
           Elle avait quinze ans quand une de ses sœurs     genoux. Quand Frank s’approcha, le caniche
         mariées l’invita à venir dans la ville voisine où   gronda comme pour dire : « Je suis bien ici...,
         elle demeurait. Ce qui l’intéressa le plus dans    laisse-moi tranquille. » Frank regarda Annie qui
         cette ville, ce fut le stand de tir. Un jour, son   lui adressa un charmant sourire, et il conclut que
         beau-frère l’y emmena et, après avoir fait         son chien avait raison. Au cours de l’année qui
         quelques cartons, il lui offrit son fusil en lui   suivit, il persuada la mince jeune fille aux
         demandant si elle voulait s’y essayer. Il fut bien   cheveux châtains, qui l’avait battu au tir, de
         stupéfait de la voir faire mouche à tous les coups.   devenir sa femme.
         Elle paraissait infaillible.                         La timide Annie n’avait probablement jamais
           — Je parie qu elle tire mieux que Frank          songé à exercer ses talents en public. Mais un
         Butler, déclara le beau-frère.                     soir, le partenaire de Frank tomba malade et,
           Frank Butler était un fringant Irlandais, grand   plutôt que de risquer de perdre leur gagne-pain,
         et hâlé, qui exécutait un numéro de tir dans un    Annie décida de le remplacer. On l’applaudit
         music-hall. Il passait pour le meilleur tireur du   encore plus que son mari. Leurs valises s’ornèrent
         monde. Annie lui fut présentée et il accepta de    bientôt de leurs deux noms « Butler & Oakley ».
         se mesurer avec elle au tir aux pigeons, où des      Au cours des cinq années suivantes, Frank lui
         pigeons d’argile servent de cible.                 apprit à devenir une vedette du tir et lui donna
           En attendant que l’épreuve commence, Annie       aussi l’instruction qu’elle n’avait pas reçue dans
         se sentait perdue au milieu de cette foule d’in­   son enfance. En attendant leur tour d’entrer en
         connus qui la dévisageaient. Elle aurait aimé      scène, dans des loges pleines de courants d’air, il
         rentrer chez elle. Mais elle se força à croire     lisait — des journaux, des livres, des revues —
         quelle se trouvait dans la forêt familière, guettant   suivant chaque ligne du doigt, et il la faisait lire
         un envol de cailles. « Pas besoin de viser, se     tout haut ensuite.
         dit-elle. Suis seulement leur trajectoire et presse
         la détente au bon moment. »
           Elle épaula son arme. « Feu ! » Son regard
         capta le pigeon d’argile qui était catapulté dans
         les airs. Son doigt manœuvra la détente.
           — Touché ! cria l’arbitre.
           L’ordre de tirer fut donné vingt-cinq fois. Les
         deux tireurs restèrent ex aequo jusqu’au dernier
         pigeon que Frank manqua et qu’Annie abattit. En
         plus de l’argent obtenu en prix de sa victoire, elle
         reçut une autre récompense : Frank Butler lui
         donna des billets pour assister à son numéro, la
         semaine suivante.
           Annie n’avait encore jamais mis le pied dans
         un théâtre et elle eut l’impression de vivre un
         conte de fées. L’un des tours favoris de Frank
         consistait à viser une pomme placée sur la tête
         d’un caniche blanc ; quand la pomme était
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