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20                       QUAND LE SAHARA n'ÉTAIT PAS UN DESERT


                   Et pour retrouver la plupart des autres, tels que le   grands dieux blancs ou des gracieuses gazelles
                   rhinocéros, l’hippopotame, l’autruche ou la girafe,   rouges s’étalaient sur des saillies et des roches en
                   il faut aujourd’hui descendre de plus de           surplomb ; elles se poursuivaient au-delà des cor­
                    1 500 kilomètres dans le Sud.                      niches et franchissaient des crevasses. Pour en
                      Il s’agissait maintenant pour Lhote de relever   relever le dessin centimètre par centimètre, il fal­
                   toutes ces admirables fresques, grandeur nature,   lait travailler à genoux, ou couché sur le dos, ou
                   en respectant leurs teintes. Il décida donc d’orga­  encore en équilibre sur des tables de pierre forte­
                   niser une expédition. Mais qui donc prêterait      ment inclinées.
                   l’oreille aux projets d’un jeune homme qui ne         Si le travail était dur, la vie l’était encore
                   possédait aucun titre universitaire ? Lhote        davantage. Le terrible vent du Sahara soufflait
                   comprit qu’il lui fallait reprendre ses études. Il   toute la journée. En été, vers midi, il se trans­
                   s’y mit courageusement et finit par décrocher un   formait en un ouragan brûlant qui soulevait des
                   doctorat en Sorbonne. Là-dessus, la guerre éclata.   nuages de sable. Au crépuscule, il tombait, mais
                   Victime d’un autre accident qui cette fois lésa sa   la température s’abaissait en même temps, et le
                   colonne vertébrale, le jeune savant fut cloué sur   supplice de la chaleur était remplacé par celui
                   le dos pendant dix ans.                            du froid. Et sans cesse cet air horriblement sec,
                      Sa santé rétablie, il obtint l’aide de divers orga­  chargé d’électricité, qui usait les nerfs tendus à
                   nismes scientifiques et put enfin entreprendre sa   se rompre !
                   première expédition au Tassili.                       Obstinément, les hommes poursuivirent leur
                                                                      tâche. Les calques étaient assemblés puis reportés
                       u mois de février 1956, Lhote se mit en route   sur de longs rouleaux de papier teintés d’avance
                   avec une équipe comprenant quatre jeunes           en ocre, à la couleur de la roche. Ensuite
                   peintres, un photographe et une étudiante qui      on peignait les dessins, en veillant bien à repro­
                   connaissait la langue berbère. Ils atterrirent sur   duire les nuances exactes de l’original. Pour cela
                   la piste de Djanet avec trois tonnes de maté­      il fallait raviver à chaque instant les fresques en
                   riel varié, allant de la table à dessin jusqu’à    tamponnant le grès poreux à l’aide d’une éponge
                   l’ouvre-boîtes, en passant par la pénicilline et les   mouillée. Les Touareg, qui considèrent l’eau
                   ciseaux de coiffeur. Pour atteindre le Nord du     comme le bien le plus précieux et qui prennent
                   Tassili, il leur fallut encore huit jours de voyage,   pour des fous les gens qui se lavent, étaient scan­
                   par une piste difficile, aux cailloux si tranchants   dalisés d’en voir gaspiller de telles quantités pour
                   qu’ils ensanglantaient les pattes des chameaux.    humecter de vagues barbouillages.
                      Les cavernes peintes du Tassili sont dissémi­
                   nées le long d’un plateau désolé, véritable paysage    n décembre 1956, les peintres durent inter­
                   lunaire. A perte de vue se dressent des colonnes de   rompre leur travail en raison du froid. L’année
                   grès rouge, hautes de 30 à 60 mètres, qui ont sou­  suivante, Lhote recruta une nouvelle équipe et,
                   vent les formes les plus étranges : châteaux en    à l’issue de cette seconde expédition, il ramena à
                   ruine, entassements monstrueux de vieux pneus,     Paris près de 1 500 m2 de peintures. Ces trésors
                   géants décapités, etc. Entre ces colonnes, le sol est   préhistoriques du Tassili furent exposés au Musée
                   sillonné d’étroites gorges, dont le soleil n’atteint   des Arts décoratifs. Le vaste public qui vint les
                   le fond qu’à la verticale de midi. Quand on y      admirer constata avec étonnement que l’art dit
                   circule, on se croirait dans une ville fantôme, avec   « moderne » était déjà né il y a quelques dizaines
                   des maisons sans fenêtres bordant des ruelles sans   de milliers d’années.
                   issue. C’est au pied de ces piliers de grès, dans     Il faudra beaucoup de temps et un patient tra­
                   des grottes ou des abris sous roche, que se trou­  vail de recherche pour interpréter l’histoire racon­
                   vent les fameuses peintures.                       tée par ces peintures. Les plus anciennes d’entre
                      La première expédition travailla tous les jours,   elles mettent en scène de petits personnages,
                   de l’aube au crépuscule, faisant sans cesse de nou­  peints en violet et ocre, avec des têtes rondes et
                   velles découvertes. Les explorateurs se heurtaient   des bras et des jambes comme des bâtons, à la
                   à d’innombrables difficultés. Les corniches dépas­  façon des dessins d’enfants. Ils appartenaient
                   saient rarement 30 centimètres de large. Les       vraisemblablement à une race négroïde. Ils por­
                   scènes de chasse, les batailles entre archers aux   tent le pagne et se servent de sagaies, d’arcs et de
                   postures follement acrobatiques, les portraits des   flèches pour chasser le rhinocéros, la girafe et
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