Page 18 - Album_des_jeunes_1960
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Le plus grand




                                             détective français





                                                    par Irving Wallace


                     n découvrit un jour un richissime proprié­    11 caractéristiques inaltérables du corps humain.
               O       taire de chevaux, le baron Zeidler, mort    Il donna à son système le nom d’ « anthropomé­
                     dans ses écuries. Le visage et le crâne défoncé  trie >.
               portaient d’affreuses marques de sabots. Le nou­      Tout fier de lui, il alla soumettre ses décou­
               veau cheval de selle que le baron venait d’acheter   vertes au préfet de police, M. Camescasse, lequel
               hennissait et piaffait à côté du cadavre de son    fut impressionné par l’enthousiasme de son jeune
               maître. Selon toute apparence, il s’agissait d’un   subordonné.
               terrible accident.                                    — Je vais vous laisser courir votre chance, lui
                  Cependant, après avoir fait le tour des écuries,   dit-il. Si d’ici trois mois votre système d’identifi­
               Alphonse Bertillon ne fut pas de cet avis.         cation nous permet d’arrêter un criminel récidi­
                  — Messieurs, dit-il, il s’agit d’un crime. Un   viste, la préfecture l’adoptera ; dans le cas
               crime habilement camouflé, mais le meurtrier a      contraire, vous ne nous parlerez plus de cette
               commis une erreur. Voyez plutôt : les marques      histoire. D’accord ?
               de sabots sur le visage et le crâne du baron ne       — D’accord, monsieur le Préfet.
               sont pas dans le bon sens. Il aurait fallu, pour      Sans plus tarder, Bertillon passe à la pratique.
               que le cheval le frappât de la sorte, que la vic:   De chaque délinquant il prend une série de photo­
               time eût la tête en bas.                           graphies, dont plusieurs notamment de profil,
                  Après de brèves recherches, on arrêta l’assas­  qui donnent le dessin exact du front, du nez et du
               sin. Il avait attiré le baron dans les écuries pour   menton.
               l’y assommer à l’aide d’un gourdin auquel il          Ensuite, il prend les dimensions de la tête du
               avait fixé des fers à cheval.                      malfaiteur, de son oreille droite, du médius
                  Alphonse Bertillon était né en 1853. Second     gauche, de l’avant-bras et du pied gauche.
               fils d’un médecin parisien, il s’intéressa beaucoup   Au bout de deux mois, le système n’a pas
               à l’anatomie et tout particulièrement à l’étude    encore permis d’identifier un seul récidiviste. Mais
               du squelette humain.                               voilà que, par un triste après-midi de février, on
                  Son service militaire terminé, en 1879, Bertil­  amène dans les bureaux de la préfecture un jeune
               lon entra à la préfecture de police de Paris en    homme trapu. Il prétend s’appeler Dupont. C’est
               qualité de commis aux écritures. Son travail       un cambrioleur qui a été pris sur le fait. Si,
               consistait à noter le signalement des criminels    comme il l’affirme, il n’en est qu’à son premier
               arrêtés dans la journée, pour le cas où ils se     vol, il n’encourt qu’une peine assez légère. Mais
               feraient prendre une seconde fois. Mais ces signa­  si c’est un récidiviste, il risque d’être frappé beau­
               lements étaient bien vagues. Un malfaiteur n’avait   coup plus sévèrement. Bertillon compulse son
               qu’à changer de nom et à modifier l’aspect de      fichier et il en retire la fiche d’un individu nommé
               son visage, même grossièrement, pour éviter d’être   Martin, arrêté pour vol deux mois auparavant.
               reconnu par la suite.                              Les mensurations de Martin correspondent exac­
                 C’est alors que Bertillon se souvint de ses études   tement à celles de Dupont !
               d’anatomie. Ses observations lui avaient appris,      Bertillon le confond et, devant l’évidence,
               par exemple, qu’à elle seule l’oreille de l’homme,   l’homme doit reconnaître qu’il est bien Martin.
               avec ses 20 détails caractéristiques, doit permettre   Bertillon a gagné. L’événement a des répercus­
               d’identifier des milliers de criminels.            sions considérables. Le préfet donne de l’avance­
                  Moins de huit mois après son entrée à la pré­   ment au jeune employé. La presse s’empare de
               fecture, Alphonse Bertillon avait dressé la liste des   son nom. Mais Bertillon ne songe qu’à son travail.
               16                                         Adapté de True
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