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176 NAUFRAGES SANS PANIQUE
n’avait oublié personne dans les cabines. Puis il en deux. L’avant s’enfonça à demi, mais ses
fit ramasser et jeter à la mer des fûts, des occupants réussirent à gagner l’arrière à temps.
planches et tous les objets susceptibles de flotter Sur les 630 personnes à bord, il y avait
pour servir de bouées. 170 femmes et enfants. Les soldats étaient de
Le colonel Scott lança un dernier ordre à ses jeunes recrues sans expérience du danger. Il res
soldats : tait seulement trois chaloupes qui ne pouvaient
— Déshabillez-vous et sautez par-dessus bord... contenir chacune que soixante personnes.
Mais défense de nager vers les chaloupes ! Le navire en perdition n’en avait plus que pour
Cernés par le feu, les hommes se jetèrent à la quelques instants. Quiconque n’embarquerait pas
mer. Il n’y avait aucun navire en vue. dans un canot de sauvetage était promis à une
Un vieux steward, les cheveux roussis et le mort certaine, car l’eau était infestée de requins.
visage couvert de brûlures, attachait ensemble des On aurait pu s’attendre à une véritable panique.
fauteuils et des pliants qui devaient servir de Pourtant, tout le monde resta calme.
flotteurs pour les hommes à la mer. Quand il eut Le commandant des troupes transportées, le
fini, il sauta à son tour, suivi par le colonel Scott colonel Sidney Seton, ordonna à ses hommes de
et le capitaine Wilson, qui fut le dernier à quitter s’aligner sur le pont. Les soldats acceptèrent leur
le navire. sort avec calme. A la lueur des torches, ils for
Les chaloupes surchargées voguaient à proxi mèrent les rangs tandis que femmes et enfants
mité. C’était bien tentant. La plupart des nageurs embarquaient dans les chaloupes.
auraient aisément pu en atteindre une. Mais ils Du dernier canot qui s’éloignait, les passagers
obéirent aux ordres et restèrent à l’écart, s’agrip virent les rangs des soldats en habit rouge figés
pant aux espars qui flottaient alentour. dans un garde-à-vous impeccable, comme à la
— Il n’y eut pas la moindre panique, raconta parade. A côté se tenait l’équipage. L’eau se
plus tard le capitaine Wilson. Tout le monde referma sur eux : le Birkenhead avait coulé.
a fait preuve d’une discipline remarquable. Quelques hommes réapparurent à la surface
Il était huit heures et quart lorsqu’une clameur et s’agrippèrent à des débris flottants. Un naviie
monta des canots de sauvetage. Un cargo se pro les recueillit dans l’après-midi. Mais 436 hommes
filait à l’horizon. avaient péri avant l’arrivée des secours.
En une demi-heure, trois autres navires appa Le capitaine John Wright, un des officiers
rurent. II fallut, pour recueillir les nageurs, des rescapés, loua le courage et la discipline merveil
manœuvres longues et délicates, mais deux heures leuse des hommes.
plus tard le dernier survivant avait été repêché. — Tous ont obéi, dit-il. Il n’y a pas eu un
Peu après on voyait sombrer la coque incendiée murmure de protestation. Ils ont suivi les ordres
de YEmpire Windrush. exactement comme s’il s’était agi d’embarquer et
A part les quatre hommes qui se trouvaient non pas de se laisser couler.
dans la chambre de chauffe au moment de L’Angleterre apprit l’histoire du Birkenhead
l’explosion, il n’y eut pas une seule mort à déplo avec chagrin et fierté. On éleva des monuments
rer. « L’exercice Birkenhead » avait porté ses à la mémoire de ceux qui avaient péri. Cinquante
fruits. ans plus tard, Rudyard Kipling célébrait l’événe
ment dans ces vers :
L’histoire du Birkenhead Rester immobile pendant l’exercice Birkenhead
C’est une pilule bien dure à avaler.
et exercice est le témoignage d’une discipline Avant la catastrophe du Birkenhead, lorsqu’un
C et d’un courage étonnants. En 1852, le trans navire sombrait, en général chacun ne songeait
port de troupes Birkenhead emmenait vers qu’à sa propre sécurité. Les plus forts s’empa
l’Afrique du Sud des soldats et leurs familles. raient des canots, et femmes et enfants étaient
A environ quarante milles du Cap, à deux heures quelquefois abandonnés à leur sort. La tradition
du matin, il heurta un récif sous-marin. Dix « Femmes et enfants d’abord », immortalisée par
minutes plus tard, alors que les passagers livides le fameux transport de troupes de 1852, a par la
trébuchaient et se faufilaient à travers le labyrinthe suite sauvé bien des vies humaines. Et en
des débris de charpentes pour monter sur le pont, mars 1954, dans l’enfer de YEmpire Windrush
le navire talonna une seconde fois le roc et se brisa en feu, elle en a sauvé 1 511 de plus.