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LA VÉRITÉ SUR CHRISTOPHE COLOMB                                    179

        pourtant la chance d’inspirer une vive sympathie   pas ses bijoux en gage, comme le veut la légende,
        à la reine. Elle décida de lui faire verser une    car il y avait longtemps quelle les avait engagés
        pension pendant que les experts espagnols étu­     pour faire face aux dépenses de la guerre contre
       dieraient le plan d’expédition du Génois.           les Maures. Santangel versa pour son propre
          Cette pension était bien peu de chose. Au        compte autant que la reine, et Colomb emprunta
        moins empêchait-elle son bénéficiaire de mourir    de son côté des fonds importants.
        de faim. Quand, au bout d’un an ou deux, la reine    En somme, ce voyage, le plus sensationnel de
        la supprima, Colomb se remit à gagner pénible­     l’histoire et qui devait rapporter à l’Espagne deux
        ment sa vie en dessinant des cartes et en vendant   continents, coûta entre 7 et 8 millions de francs
        des livres. Il fallait bien attendre que la guerre   d’aujourd’hui.
        contre les Maures prît fin. Les cheveux roux du
        marin avaient blanchi, il souffrait de rhuma­      lu es trois navires de Christophe Colomb — la
        tismes, ses vêtements étaient tellement troués     Pinta, la Nina et la Santa-Maria — étaient trois
        qu’il n’osait pas sortir les jours de pluie, mais il   robustes petits bâtiments qui filaient cinq ou six
        parlait toujours de son projet à tout le monde,    nœuds à l’heure devant un vent favorable. Quand
        en toute occasion et avec le même enthousiasme     le vent tombait, les rames remplaçaient les
        qu’autrefois.                                      voiles. Chaque bateau comportait une cabine pour
          En 1491, Christophe Colomb, décidément           le capitaine. L’équipage couchait sur le pont. Une
        dégoûté de l’Espagne, résolut de tenter sa chance   fois par jour, on allumait du feu dans un brasero,
        en France. II partit. Chemin faisant, s’arrêtant   sur le pont, et l’on faisait la cuisine. Pour mesurer
        pour un soir dans un monastère, il entretint natu­  la fuite du temps, on se servait de sabliers que les
        rellement les moines de son grand projet. Le       mousses étaient chargés de retourner régulière­
        prieur, impressionné par son éloquence, décida de   ment.
        lui ménager une dernière audience avec la reine      Les trois vaisseaux transportaient environ
        Isabelle.                                          87 hommes dont 3 médecins, un domestique
          Cette fois, passant outre à l’avis de ses experts,   attaché au service de Colomb et un fonctionnaire
        la reine fut attentive, et même se laissa          chargé par la reine de tenir le compte des trésors
        convaincre. Elle trouva cependant que le prix de   découverts par l’expédition. Chaque soir, l’équi­
        l’entreprise promettait d’être trop élevé. En effet,   page se réunissait sur le pont pour chanter un
        Colomb demandait à être nommé amiral des           cantique, généralement le Salve Regina. Contrai­
        océans et vice-roi de toutes les terres qu’il décou­  rement à la légende, il n’y avait pas de forçats à
        vrirait. Il exigeait aussi 10 % de tous les trésors   bord. A part un des hommes, qui avait un meurtre
        qu’il recueillerait pour la couronne. Comme Isa­   sur la conscience, les autres étaient de braves
        belle discutait ses conditions, Colomb la remercia   garçons, partis de leur ville natale pour naviguer
        de l’avoir écouté, remonta sur sa mule et repartit   dès que l’occasion s’en présenterait.
        pour la France. Il n’avait pas attendu six ans       Christophe Colomb prouva qu’il avait le génie
        pour marchander.                                   de la navigation. Tous les Portugais qui avaient
          Entre-temps, Luis Santangel, contrôleur des      essayé auparavant de découvrir les terres au-delà
        fonds privés de la Cour, intervint près de la      de l’Océan avaient pris leur cap trop au nord.
        reine :                                            Leurs navires avaient rencontré le grand vent
          — Tout l’argent qui manque à Votre Majesté       d’ouest, celui qui souffle perpétuellement d’Amé­
        pour financer cette expédition, lui dit-il, je le lui   rique du Nord vers l’Europe. Aussi leurs tenta­
        fournirai personnellement. Qu’avez-vous à perdre,   tives avaient-elles échoué. Colomb, lui, fit route
        Madame ? Et songez à ce que Votre Majesté          en direction du sud-ouest et sa flotte fut poussée
        pourra gagner : des milliers de convertis pour     par le vent d’est. Il lui fallut exactement 33 jours
        l’Eglise, une grande gloire pour l’Espagne et de   pour atteindre la terre.
        l’or.                                                Quand la flotte arriva dans la mer des Sar­
          Convaincue, la reine dépêcha des messagers       gasses, tout encombrée d’algues flottantes, les
        auprès de Colomb avec mission de le ramener.       capitaines des deux autres vaisseaux supplièrent
          Pour financer le premier voyage de Colomb,       Christophe Colomb de modifier sa route et de
        Isabelle donna à peu près la valeur de 3 millions   chercher des îles. Il refusa de les écouter et pour­
        de francs français d’aujourd’hui. La reine ne mit   suivit droit vers l’ouest. Une seule fois, il mit le
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