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              « Epreuve du mille, temps : trois minutes... » Le   une course de quatre milles. Je ménagerais ainsi
             reste se perd dans les clameurs de la foule. (Le   mes forces et mon énergie jusqu’au moment où
             temps exact est de 3’59” 4/10). J’ai saisi Brasher   je le dépasserais pour le sprint final. Je pré­
             et Chataway par le bras et, tous les trois, nous   voyais qu’il forcerait l’allure afin de me fatiguer.
             gambadons sur la piste comme des fous.             Je devais calculer l’avance que je pouvais lui
                                                                laisser prendre sans danger. Il lui arrivait de mal
                                                                évaluer sa vitesse et de boucler le quart de mille
                       Le record de Landy
                                                                en 56 secondes. S’il commettait cette erreur, il me
                 aïs un jour, bientôt peut-être, John Landy     donnerait l’avantage, car j’avais décidé d’adopter
                  ou un autre athlète allait franchir, eux      une allure régulière, afin de garder mes forces
             aussi, le « mur des quatre minutes », puisque nous   pour la fin du parcours.
             avions prouvé, à Oxford, que la performance était
             réalisable. Ils pourraient même aller plus loin et
                                                                           La lutte s’engage !
             battre mon propre record.
                Peu de temps après la course d’Oxford, Landy       e jour de la course est arrivé ! Le stade est
             partit pour la Finlande, dans l’espoir d’y trouver   L  plein et la foule manifeste un enthousiasme
             un terrain et un climat favorables à son dessein.     extraordinaire. Le soleil brille, les drapeaux des
             A quatre reprises, il faillit réussir à deux secondes   pays participant à la compétition se détachent
             près ; mais il lui fut impossible de faire mieux.  gaiement sur les montagnes de l’île de Vancouver.
                Un jour, à ma grande surprise, Chris Cha­       Nous nous mettons en ligne pour le départ ;
             taway m’annonça sa décision d’aller se mesurer     Landy est à la corde. Le coup de feu du starter
             avec Landy en Finlande. La course eut lieu le      retentit. En avant !
             22 juin, par un temps idéal. Après le premier         Le Néo-Zélandais William Baillie se place en
             quart de mille, Landy se plaça en tête et s’y main­  tête. Je reste quelques mètres en arrière, à la
             tint jusqu’au bout. Au début du dernier tour, il   hauteur de Landy, jusqu’à ce qu’il prenne à son
             voulut jeter un coup d’œil derrière lui. Voyant    tour la tête du peloton, à 220 mètres du départ.
             Chris qui le suivait de près, il prit le mors aux   Peu à peu, il se détache du groupe et, à la fin
             dents comme il ne l’avait jamais fait quand il     du premier tour, je lui laisse prendre une avance
             courait seul. Aiguillonné par le désir de vaincre,   de 7 mètres. Pendant le deuxième tour de piste,
             il se déchaîna et termina la course par un sprint   cet écart va jusqu’à 15 mètres. A la moitié du
             extraordinaire. Il établissait ainsi un nouveau et   parcours, mon temps est de 1’ 59”, et pourtant
             magnifique record du monde avec 3’ 58”. En         je me trouve encore à 10 mètres derrière lui. Je
             somme, après m’avoir « tiré » en courant devant     ne m’en inquiète pas, car j’ai l’intention de cou­
             moi en Angleterre, Chris Chataway avait            rir « détendu » et de ne me déchaîner qu’à la fin
              « poussé » Landy en se plaçant derrière lui en    de l’épreuve.
             Finlande.                                             Mais je m’aperçois soudain que Landy ne
                J’attendais les résultats chez moi. Quand        ralentit pas comme je l’ai espéré ! Va-t-il battre
             j’appris la nouvelle, je restai un moment cons­    encore une fois le record du monde ?
             terné. L’écart de 1” 4/10 entre nos deux perfor­      Si je veux garder ma « pointe » pour le sprint,
             mances était bien plus grand que tout ce que       il faut que je me trouve dans sa foulée dès le
             j’avais redouté. J’avais détenu le record du monde   début du dernier tour. Comment faire pour le
             pendant 46 jours seulement. Maintenant, la lutte   rattraper ?
             entre Landy et moi allait s’engager.                  J’accélère l’allure, tout en essayant de rester
                Six semaines plus tard, nous nous préparions     détendu. Je gagne un premier mètre, puis un
             à disputer une course à Vancouver, en Colombie      deuxième, puis encore un autre. Dans la ligne
             britannique, au cours des Jeux de l’Empire.         droite du troisième tour, l’écart qui nous séparait
             Nous étions tous deux les seuls coureurs ayant      a diminué de moitié. Comme je regrette de l’avoir
             couvert le mille en moins de quatre minutes. De     laissé prendre une telle avance !
             plus, nous étions l’un et l’autre en pleine forme.    Enfin, je « reprends contact » avec lui, malgré
             C’était une course tout à fait exceptionnelle.      les 5 mètres qui nous séparent encore. Je suis
                Mon plan était simple. Il fallait que j’oblige   presque hypnotisé par sa foulée basse et aisée.
             Landy à choisir pour moi l’allure appropriée à      J’essaie d’imaginer que je suis lié à lui par une
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