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LE MILLE EN QUATRE MINUTES 117
Mais, durant l’été suivant, je ne pus descendre de ne pas profiter du précieux répit que la tem-
au-dessous de 4’ 2”. pête nous laisse. Nous revenons à nos marques.
A cette époque, je faisais mes études de méde Un coup de feu, et nous voilà partis !
cine, et j’avais du mal à trouver le temps néces Brasher prend la tête et je me glisse sans effort
saire à mon entraînement. Cependant, en décem- derrière lui. Je me sens merveilleusement « en
cembre 1953, je commençai à m’entraîner tous forme ». Une force mystérieuse anime mes
les jours à l’heure du déjeuner, avant de jambes. Pourtant, je trouve que nous allons trop
reprendre mon travail à l’Hôpital Sainte-Marie, à lentement. Je crie avec impatience : « Plus
Paddington. Avec Chris Brasher, je courus vite ! » Mais Brasher, sans perdre la tête, garde
d’abord une série de dix quarts de mille la même allure. Mon inquiétude se calme enfin
(400 mètres environ) en quand j’entends le temps que
66 secondes chacun. Peu à nous avons mis à faire le premier
peu, en observant une pause de tour : 57” 5/10 seulement.
dix minutes entre chaque tour, J’étais trop surexcité pour bien
notre temps s’améliora. En avril, calculer notre allure, et Brasher
nous arrivions à couvrir le quart aurait pu courir le premier quart
de mille en 61 secondes, puis de mille en 55 secondes sans que
finalement notre temps tomba je m’en aperçoive ; mais j’aurais
à 59 secondes ! été incapable ensuite de soutenir
Cette année-là, l’occasion de un tel effort jusqu’au bout. Son
battre le record des quatre sang-froid, au contraire, rendit la
minutes se présenta pour la pre victoire possible.
mière fois. En effet, nous n’étions A la moitié du second tour,
plus qu’à trois semaines de la j’étais toujours obsédé par cette
course qui oppose l’Université question de vitesse. Alors, domi
d’Oxford à l’A. A. A. (Amateur nant le brouhaha de la foule,
Athletic Association). Mon excellent ami Chris une voix cria : « Calme-toi donc ! » Instinctive
Chataway avait décidé de faire équipe avec ment, j’obéis.
Brasher et moi pour défendre les couleurs de Sans m’en rendre compte, j’ai couru la moitié
l’A. A. A. Comme cela nous aiderait s’il parvenait du parcours en 1’58”. Dans la boucle suivante,
à couvrir les trois premiers quarts de mille en Chataway prend la tête du peloton. La foule rugit
trois minutes ! Il n’était pas sûr d’y arriver, mais d’enthousiasme à la fin du troisième tour : notre
il proposa généreusement d’essayer. temps est de 3’ 0” 7/10. Il faut que je trouve
Douze jours avant la course, je bouclai un essai le moyen de couvrir le dernier quart de mille en
de trois quart de mille en trois minutes. 59 secondes. Chataway est toujours en tête. C’est
Le grand jour approchait ; je passais le plus au début de l’avant-dernière ligne droite, à
clair de mon temps à imaginer que j’avais 300 mètres du but, que j’arrive, dans un grand
attrapé un rhume, ou à me demander si le vent élan, à le dépasser.
qui faisait rage allait enfin s’arrêter. Toutes les Je cours sans relâche et, quand je passe le
nuits, pendant la semaine qui précédait l’épreuve, dernier virage, il ne me reste plus qu’une
je me voyais sur la ligne de départ. J’étais telle cinquantaine de mètres à parcourir.
ment énervé que j’en tremblais. Je vivais d’avance Bien que mon corps ait épuisé depuis long
les péripéties de l’épreuve. temps toutes ses ressources d’énergie, il continue
La course eut lieu le 6 mai sur la piste d’avancer à la même cadence, grâce à ma volonté.
d’Oxford. Le vent soufflait en tempête, ce qui A cinq mètres de moi, le ruban semble reculer.
risquait de me faire perdre près d’une seconde Tiendrai-je jusqu’au bout sans ralentir ? Je bondis
par tour. Fallait-il abandonner la tentative ? en avant...
La lutte est finie, et je m’effondre à moitié
Un mille en quatre minutes évanoui ; des bras me soutiennent de chaque côté.
C’est alors seulement que la douleur m’envahit.
e coup de pistolet du starter retentit, aussitôt Mais, avant même de connaître les résultats, je
• suivi d’un deuxième : faux départ ! Je fulmine sais que j’ai gagné. J’entends annoncer