Page 114 - Album_des_jeunes_1960
P. 114

112                        LA FIN DE BARBENOIRE LE PIRATE


               Barbenoire remonta la côte américaine jusqu’à    Maynard fit lever l’ancre et les deux sloops s’enga­
             la Caroline du Nord, à cette époque colonie        gèrent dans la passe. Bientôt il vit nettement la
             anglaise, et il proposa au gouverneur de renoncer   coque du navire ennemi et il comprit qu’il ne
             à la piraterie en échange de son pardon. Le gou­   pourrait réussir une attaque par surprise. En
             verneur eut la faiblesse d’y consentir. Il permit   effet, les flancs du navire étaient hérissés de
             même à Barbenoire de conserver son navire, de      canons de gros calibre. Barbenoire avait été
             pénétrer dans le chenal d’Ocracoke et d’établir    prévenu !
             son quartier général à terre.                        Après avoir jeté l’ancre hors de portée des
               Au début, les colons du voisinage furent très    canons, Maynard envoya une embarcation pour
             flattés d’être invités à son bord par le pirate, dont   sonder le chenal. A peine s’était-elle éloignée qu’il
             ils appréciaient les généreuses distributions de   y eut là-bas un éclair suivi d’un grondement
             rhum. Mais ils ne tardèrent pas à déchanter, car   sourd et qu’un boulet siffla dans les airs. Maynard
             Barbenoire se mit à leur réclamer toutes sortes    dut rappeler ses hommes.
             de choses, se montrant de plus en plus exigeant.     Cette fois, ce fut Barbenoire qui prit l’initiative.
             La situation devint vite intolérable, mais         Son équipage grimpa dans les agrès, on largua les
             comment se serait-on opposé aux entreprises d’un   voiles, et le pirate mit le cap sur les petits sloops.
             homme qui disposait de bandes armées et se         Mais soudain, le grand navire s’immobilisa : il
             réclamait de la protection du gouverneur ?         venait de s’échouer sur un banc de sable.
               Finalement, les colons appelèrent à leur           Avec ses bâtiments légers, Maynard pouvait
             secours le gouverneur de la Virginie, la colonie   attaquer le pirate par l’avant, en restant hors
             voisine, en le suppliant de les débarrasser du     d’atteinte des canons. La question était de savoir
             pirate. Le gouverneur hésita tout d’abord à        s’il aurait le temps de réussir l’opération avant que
             intervenir dans les affaires d’une autre colonie,   la marée montante eût remis le navire à flot, lui
             puis il s’y décida et chargea de l’opération le lieu­  permettant ainsi de virer pour pointer. Le
             tenant Robert Maynard, commandant d’un navire      commandant décida d’attaquer.
             de guerre britannique.                               Mais la brise tomba presque aussitôt. Les
                                                                matelots durent se mettre à ramer et les sloops
                         Maynard attaque                        n’avancèrent plus que lentement. Pourraient-ils
                                                                gagner de vitesse la marée montante ?
                 E chenal d’Ocracoke est une étroite passe        La distance diminuait. Déjà on pouvait voir les
                   dans le banc de sable long de 150 kilo­      hommes du pirate alignés contre le bastingage. Et
             mètres qui s’étend à quelque distance de la côte   voilà qu’au dernier moment le navire commença
             de la Caroline du Nord. C’est un passage dan­      à se redresser. « Plus vite ! » hurla Maynard. Ils
             gereux, aux fonds sans cesse modifiés par les      étaient encore à une centaine de mètres du pirate
             marées. Maynard ne pouvait y engager son navire    quand celui-ci parvint à virer sur lui-même et fit
             sans courir le risque de s’échouer. Il transborda   feu de toutes ses pièces.
             son équipage sur deux sloops de faible tirant
            d’eau et mit trente hommes sur chacun. Chiffre
                                                                           Le dernier combat
             suffisant, pensait-il, pour venir à bout des pirates.
               Si les sloops pouvaient manœuvrer facilement          aynard était toujours debout à son poste,
             dans ces eaux dangereuses, ils ne possédaient pas        mais le pont des sloops offrait un affreux
             de canons. Maynard devait donc attaquer par sur­   spectacle. La moitié des matelots étaient morts
             prise et atteindre son but avant que l’adversaire   ou blessés. Le commandant donna l’ordre aux
             ait pu mettre ses canons en batterie.              survivants de reprendre les avirons et il poursuivit
               Un soir de novembre, les sloops jetèrent l’ancre   son avance, seul cette fois, car le second sloop,
             à l’entrée du chenal. Là-bas, de l’autre côté du   gravement endommagé, commençait à donner de
             banc de sable, on distinguait encore dans la       la bande.
             pénombre les mâts élancés du navire pirate. Mais     Bientôt, le bâtiment ennemi se dressa comme
             la marée descendait et il fallut remettre l’attaque   une muraille devant Maynard et ses hommes.
             au lendemain.                                        — A l’abordage ! cria-t-il.
               Quand le soleil se leva, tous les regards se diri­  Soudain, plusieurs bouteilles tombèrent sur le
             gèrent vers la côte. Le pirate était toujours là.   pont du sloop et explosèrent avec fracas. C’étaient
   109   110   111   112   113   114   115   116   117   118   119