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108                            JULES VERNE      l’avait PRÉDIT


                L’écrivain vécut assez vieux pour voir bon      dix heures il se rendait ponctuellement à son
             nombre de ses rêves prophétiques devenir réalité.   bureau à la Bourse.
             Il trouvait d’ailleurs cela tout naturel.             Son premier roman fut Cinq semaines en bal­
                — Ce qu’un homme est capable d’imaginer,        lon. Quinze éditeurs, à qui il avait soumis son
             un autre peut le réaliser, avait-il coutume de dire.  manuscrit, le lui avaient retourné. Furieux il le
                Lorsqu’il naquit en 1828, près de Nantes, les   jeta au feu. Sa femme parvint à sauver les pré­
             chemins de fer n’existaient que depuis cinq ans    cieux feuillets et lui fit promettre de tenter encore
             et les navires à vapeur qui traversaient l’Atlan­  une fois sa chance. Miracle ! Le seizième éditeur
             tique avaient encore des voiles, en plus de leurs   accepta de le publier.
             machines.                                             Cinq semaines en ballon fut bientôt un roman
                A l’âge de dix-huit ans, pour obéir à son père,   à succès, traduit dans toutes les langues civilisées.
             Jules Verne vient faire son droit à Paris ; mais il   En 1862, à l’âge de trente-quatre ans, son auteur
             se sent attiré davantage par la poésie et par le    était célèbre. Il abandonna la finance pour écrire
             théâtre. Un soir qu’il s’ennuie dans une réception   des romans.
             mondaine, il s’esquive et a l’idée saugrenue de       Dans son second livre, Voyage au centre de
             descendre l’escalier à cheval sur la rampe. Il      la terre, Jules Verne fait pénétrer ses personnages
              atterrit en plein dans la bedaine d’un gros        dans le cratère d’un volcan en Islande. Après
              homme qui s’apprêtait à monter. Confus, Jules      mille aventures, se laissant porter par une coulée
             lâche la première phrase qui lui passe par la       de lave, ils ressortent en Italie. L’auteur avait mis
              tête :                                             dans son récit tout ce que la science d’alors savait,
                — Monsieur, avez-vous dîné ?                     ou supposait, sur ce qui se passe dans les entrailles
                L’autre répond qu’il a fort bien dîné d’une ome­  de la terre, avec en plus le piment de l’aventure.
              lette à la nantaise.                                 A la naissance de leur fils, les Verne quittèrent
                — Peuh ! réplique Jules Verne, personne à        Paris pour Amiens. Maintenant ils roulaient sur
              Paris ne sait préparer une véritable omelette à la   l’or. Jules s’offrit le plus grand yacht qu’il put
              nantaise.                                          trouver et se fit bâtir une maison flanquée d’une
                — Et vous, sauriez-vous ? s’enquit le gros       tourelle, dont une des pièces était aménagée à la
              monsieur.                                          façon d’une cabine de capitaine au long cours.
                — Bien sûr, je suis Nantais, dit Jules.          C’est là qu’environné de cartes et de livres il passa
                — En ce cas, venez dîner chez moi mercredi       la seconde moitié de sa vie.
              prochain. Vous ferez l’omelette.                     Le Tour du monde en 80 jcmrs est probable­
                C’est ainsi que naquit l’amitié de Jules Verne   ment le plus connu de ses romans. Il parut
              et du célèbre auteur des Trois mousquetaires,      d’abord en feuilleton dans un journal parisien.
              Alexandre Dumas. Cette rencontre confirma le       Le voyage du héros, Philéas Fogg, luttant contre
              jeune homme dans son intention de devenir écri­    la montre pour gagner un pari, passionnait telle­
              vain. Malheureusement, son père, mécontent de      ment le public que les correspondants des jour­
              le voir négliger ses études, lui coupa les vivres.   naux de New York et de Londres câblaient
              Jules trouva un petit emploi dans un théâtre ;     chaque jour à leur rédaction l’endroit où le globe-
              mais les années qui suivirent furent une période   trotter imaginaire était arrivé.
              de vaches maigres.                                   Les gens engageaient des paris : Philéas Fogg
                 « Je mange du bifteck qui, il y a quelques jours   parviendrait-il à Londres à temps ? Jules Verne
              encore, tirait un fiacre dans les rues de Paris »,   ménageait habilement l’intérêt. Son héros arra­
              écrivait-il alors à sa mère. Et il confiait à un   chait à la mort une veuve hindoue, se passionnait
              ami : « Mes chaussettes sont comme une toile       pour elle, et cette fantaisie le mettait à deux doigts
              d’araignée. »                                      de rater ses correspondances. Plus tard, en tra­
                  Cela n’empêcha pas Jules Verne de tomber       versant les plaines d’Amérique, Fogg était attaqué
              amoureux et de se marier. Avec l’aide de son       par les Peaux-Rouges et il n’arrivait à New York
              père, il obtint un emploi chez un agent de change.   que pour voir disparaître à l’horizon le bateau qui
              Sa situation matérielle s’améliora, mais il garda   aurait dû le ramener en Angleterre.
              sa petite mansarde où il venait écrire. Dès six       Toutes les compagnies de navigation transat­
              heures du matin il était à sa table, rédigeant des   lantique offrirent alors de grosses sommes d’argent
              articles scientifiques pour un journal d’enfants. A   à l’auteur pour qu’il donne le nom d’un de leurs
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