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LE PARI DE LECOT                                         105

          voiture, la « traction avant », et il avait formé   Nationale 7. Elle traverse Valence, Avignon,
          le projet de la soumettre à l’épreuve la plus redou­  Aix-en-Provence, file par les lacets de montagne
          table qu’on pût imaginer. Un beau jour, il ren­    jusqu’à Monaco. A midi, Lecot stoppe devant le
          contre Lecot.                                      célèbre Sporting Club de Monte-Carlo. Après une
            — Pourquoi ne tenteriez-vous pas quelque         demi-heure de pose, il repart en direction du
          chose de vraiment formidable ? lui demande-t-il,   nord.
          quelque chose de spectaculaire, comme par            Au début, la plupart des gens pensent que
          exemple un raid d’endurance de 400 000 kilo­       Lecot n’a pas la moindre chance de réussir. Mais
          mètres ?                                           à mesure que passent les semaines, puis les mois,
            Lecot s’emballe immédiatement pour cette         on commence à changer d’avis. Lecot devient un
         idée. Il compte sur l’appui de Citroën, mais le     personnage de légende. Son courage et sa téna­
          grand constructeur meurt peu après et les direc­   cité soulèvent une admiration grandissante.
          teurs de la société ne veulent plus entendre par­    Alors survient un premier accident. Près de
          ler de ce projet. Lecot, lui, s’obstine, et il décide   Brignoles, dans le Var, un camion à remorque
          d’agir seul.                                       dérape, accroche la Citroën et la renverse. Lecot
            Tous les détails de l’entreprise furent soigneu­  et le contrôleur qui l’accompagne s’extirpent de
          sement mis au point. La voiture de Lecot ne        la voiture, la remettent à grand-peine sur roues...
          devait subir que quelques modi­                                   et repartent.
          fications minimes. On y installa,                                    Le besoin de dormir vient
          par exemple, un pare-brise qui se                                 fréquemment tourmenter Lecot.
          rabattait, cela afin d’augmenter la                               Quand il sent le sommeil le
          visibilité par les nuits de brouil­                               gagner, il fait jouer la radio de
         lard. On y ajouta un second                                        bord, ou demande à son compa­
          accélérateur pour réduire la                                      gnon de lui lire le journal à haute
          fatigue de la jambe, des feux de                                  voix. Parfois, lorsqu’il ne peut
          position rouges et verts, pour que                                plus résister, il range sa voiture
         les routiers puissent mieux la                                     sur le bas-côté de la route.
          reconnaître la nuit, et un aver­                                    — Réveillez-moi dans cinq mi­
          tisseur deux tons, facile à iden­                                 nutes, dit-il.
          tifier.                                                              Et aussitôt il s’endort.
            L’Automobile Club désigna                                          A certains endroits où l’on ne
          une commission de huit inspec­                                    peut circuler que d’un côté de la
          teurs pour veiller à la régularité                                route, en raison de travaux, les
          de l’épreuve, et notamment à ce que la vitesse     terrassiers s’arrangent pour faire passer Lecot
          limite de 90 km/h ne fût pas dépassée. A tour de   avant les autres. La nuit, les routiers reconnaissent
          rôle, ils devaient prendre place à bord de la      ses feux verts et rouges ; ils mettent aussitôt leurs
          Citroën. Lecot engagea deux mécaniciens, chargés   phares en code et serrent à droite pour lui laisser
          de réviser la voiture pendant qu’il dormirait.     le plus de place possible.
            Le 22 juillet 1935, à 3 h 30 du matin, Lecot       Si quelque parent ou ami désire faire un petit
         monte dans sa traction avant noire et met le cap    voyage gratuit à Paris ou Monte-Carlo, Lecot
          sur Paris. A midi tapant, il s’arrête devant le    accepte volontiers de le prendre avec lui. Il se
         siège de l’Automobile Club de France, place de      charge également de lettres et de paquets. Il lui
         la Concorde. Une demi-heure plus tard, il a repris   arrive même de distribuer, le long des routes plu­
          la route et fonçe vers le sud. Conformément à      vieuses du nord, des fleurs cueillies dans le Midi.
          l’horaire prévu, il se retrouve chez lui à 9 heures   Et l’interminable randonnée se poursuit, sans
          du soir. Sa femme lui a préparé son repas. Après   répit ni jours de fêtes, sauf la veille de Noël, où
         le dîner, une bonne douche, un quart d’heure de     Lecot s’accorde une heure supplémentaire de
          culture physique, et à 22 h 30 Lecot est au lit.   repos, pour pouvoir jouer avec ses petits-enfants.
          Le lendemain matin à 3 h 30, les mécaniciens       Le brouillard est son pire ennemi, suivi de près
         ont terminé leur travail. L’auto est prête à repar­  par le verglas et la neige. Mais, quelles que soient
          tir.                                               les conditions atmosphériques, il ne peut se per­
            Et la traction noire s’élance vers le sud, par la   mettre de ralentir.
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