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jà conscients en 1940 de la nécessité de réfor cles à la mise sur pied de l’armée de demain.
L’ARMÉE NOUVELLE (suite et fini mes considérables, la plupart des jeunes Comme dans l’Armée d’Afrique, il y a les
Français souhaitent une France nouvelle et « évadés » et ceux qui ne le sont pas : dans
les F.F.I. sont les plus ardents d’entre eux. les F.F.I. il y a cqux qui sont venus combattre
gnorer le désintéressement, la générosité, le Dire maintenant ce qui définit cet esprit sur le front de l’Est et ceux qui sont restés
patriotisme foncier de l’officier de carrière. révolutionnaire est plus malaisé. Dans les à l’intérieur. La confrontation a montré cer
Contrairement à des croyances tenaces et un grandes lignes, le socialisme est admis comme taines supériorités dans les possibilités de la
peu sottes, le soldat de métier, en général, un fait acquis à condition toutefois que ce troupe F.F.I., mais aussi l’infériorité tech
vit pauvrement, fait preuve de conscience socialisme respecte les libertés de chacun, nique des cadres F.F.I. vis-à-vis de leurs
professionnelle, témoigne d’une honnêteté, qu’il ne soit pas exagérément communautaire, frères de la Première Armée. Ces derniers
parfois d’une grandeur qui, à tout prendre, qu’il ne supprime pas la propriété mais qu’il ont un peu abusé de ]eur victoire, une vic
sont bien des vertus. soit bien égalitaire. On retrouve là toutes toire gagnée d’avance.
Enfin, on a beaucoup critiqué la fidélité des sortes de vieilles tendances traditionnellemjent A l’heure actuelle, il y a quelque mélan
militaires à un serment. Sans doute, en cer françaises. colie à être officier d’active, ancien membre
taines circonstances, le patriotisme doit-il En ce qui concerne l’Armée, chacun con de la Résistance maintenant en ligne. Tel
commander même le parjure. Mais lorsque les çoit des réformes à sa façon. Bon nombre homme avait pensé accomplir un devoir dif
circonstances exceptionnelles n’existent plus d’idées extravagantes ont cours : on reparle ficile, mais nécessaire, en demeurant sur le sol
et qu’on souhaite revenir à la norme, il faut de discipline librement consentie, de juge de la Patrie. Pendant des années, il a lutté,
se hâter de recommander à nouveau l’esprit ment des supérieurs par les subordonnés, de toujours dans des conditions dangereuses.
d’obéissance qui fait la servitude du soldat, suppression des sous-officiers, etc... Encore Combien de camarades fusillés, torturés ou
mais aussi sa grandeur. une fois, tout cela relève d’un socialisme déportés ! Il a commandé à des centaines, des
Pour terminer, n’omettons pas de signaler humanitaire et libertaire, un peu désuet, un milliers d’hommes dont il était le chef d’é
que F Armée d’Afrique du Nord comporte peu naïf, passablement idéaliste, mais géné lection. La libération survenue il a pensé
deux catégories, elle aussi : celle des mili reux. charitable. poursuivre au mieux sa mission en se préci
taires surpris en Afrique même par le débar Les F.F.I1. pêchent par leurs cadres. Les pitant aux côtés de ses frères d’arme d’Afri
quement anglo-saxon et celle des « évadés ». petits cadres sont inexistants. A l’échelo-i que. Maintenant il ne commande au mieux
Ces derniers ont eu une occasion qui ne s’est officier, la confusion est grande. On trouve qu’à un bataillon, ‘ la plupart du temps qu’à
pas offerte aux autres, mais qui n’en prouve parfois le petit commerçant, l’ouvrier, même une compagnie, souvent à rien du tout. Il
pas moins en faveur de leur volonté énergique l’étudiant, le professeur que la Résistance a reste mal chaussé, mal vêtu, mal armé. Dans
de manifester par un acte personnel leurs révélé à lui-même, qui est un soldat né : la Résistance il inquiétait en sa qualité de
convictions. ceux-là, il faut les distinguer et les retenir professionnel ; à côté des professionnels, il
soigneusement. Il y a aussi le petit chef de sent de leur part une méfiance à l’égard du
3® Les F. F. I. bande local dont le rayonnement n’excède maquisard. Pour couronner l’ensemble, on lui
Les F.F.I. ont une force considérable : ils pas son canton ni sa commune, beaucoup ordonne sans précautions oratoires après des
ont dans leurs bataillons une grande quantité plus capable de faire de la Résistance spec années de combat irrégulier et des mois de
de purs Français. Si l’on veut parler d’Armée taculaire que du vrai combat. Il y a le combat régulier, de faire une demande de
Nationale, elle est là ; cent fois plus nom conjuré des villes, l’homme des comités de « réintégration » dans l’Armée, dont il pen
breuse que l’Armée Gaulliste de la première province ou même des Comités Nationaux qui, sait n’avoir pas été chassé.
heure, beaucoup moins coloniale, beaucoup au dernier moment, s’est octroyé le grade qui
plus spontanée que l’Armée d’Afrique du lui paraissait correspondre à son importance. 4® Les Prisonniers.
Nord. Il y a enfin les officiers de carrière de Il n’est guère possible de traiter le pro
Ces volontaires sont pleins d’enthousiasme, meurés en France. Dans leur ensemble, ils blème sans en connaître les éléments. On peut
très jeunes, capables de grandes choses, ils son restés assez à l’écart de la Résistance et simplement dire que, dans l’organisation de
ne savent pas toujours très bien ce qu’ils veu c’est fort regrettable. Ils ont souffert, c’est l’Armée nouvelle, il faudra préciser nette
lent, mais ils le veulent avec force. La troupe entendu, de la méfiance systématique des ment la place faite à ceux qui reviendront de
F.F.I. est une troupe comme la France le mouvements clandestins ; par un paradoxe captivité. Et il ne sera pas facile d’être juste
s’en est pas offerte depuis longtemps. singulier, le socialiste libertaire, en même tout en conservant le souci essentiel de ne
Il est intéressant de noter que cette armée temps qu’il criait « Aux Armes ! » et se nom pas encombrer l’Armée d’éléments usés ou
F.F.I. se donne comme révolutionnaire. Il mait lui-même Colonel, n’arrivait pas à dé simplement désabusés.
serait étonnant qu’elle ne le fût pas. Elle pouiller son antimilitarisme de tradition.
s’est constituée en dehors de tous cadres tra Mais aussi, bien souvent, le militaire de mé 5® Conclusion.
ditionnels, en dehors, de la loi en cours, avec tier est resté en France dans ses pantoufles.
des éléments très jeunes à la recherche de Et cependant, il est permis de croire que Les différences entre les éléments de la
leur assiette. Par surcroît, comment les ado le meilleur devoir de l’officier fin 1942 était future Armée sont suffisamment accusées
lescents de la période 1939-44 n’auraient-ils de prendre en mains sur le plan militaire la pour qu’on puisse considérer leur réunion
pas été impressionnés par le caractère révo résistance' française, à condition qu’il ne fût comme délicate. Et cependant, une Armée
lutionnaire d’une guerre mondiale dont ils pas d’un grade trop élevé, ou qu’il ne fût pas qui rassemblerait les qualités de techniciens,
étaient les spectateurs et les auteurs ? trop connu de la Gestapo. Un bon nombre le sens de la tradition des militaires de
Pendant l’occupation, les Allemands ont d’entre eux, heureusement, l’ont compris. l’Armée d’Afrique, l’entrain, le non-confor
présenté une démonstration du National-So Cependant, beaucoup d’officiers de carrière misme, la générosité du F.F.I. bon teint,
cialisme ; à l’extérieur les Russes faisaient qui entrèrent dans l’action le firent avec une la vitalité, le patriotisme ardent et le sens
découvrir la surprenante vigueur du commu certaine lenteur. Les uns adhérèrent aux mou de l’aventure du gaulliste de la première
nisme en armes. D’autre part, les nécessités vements de résistance à qui ils rendirent en heure, serait une belle Armée.
de la guerre, l’obligation de contrôles de tou général des services signalés sur le plan mi Sans donner à cette Armée la valeur d’une
te sorte, la mort, brusque en somme, du libé litaire, les autres constituèrent un mouve puissance politique, ce qui serait une faute,
ralisme, posaient tout de go à la population ment particulier 1’0.R.A. dont le but était il est nécessaire de lui enlever toute tentation
française le problème de l’Etatisme, du So de créer une force purement militaire, déga de fonctionnarisme en définissant plus exac
cialisme, si on veut. gée de toute influence politique. tement que naguère l’idéal qu’elle doit servir.
Remués au profond d’eux-mêmes par les L’ensemble des cadres F.F.I. a donc tou La défense du pays est un prétexte insuffi
transformations auxquelles ils assistaient, dé jours manifesté une valeur militaire médiocre. sant ; il faut que l’Armée de demain com
Presque tous courageux, ardents, dynami batte pour que la France puisse remplir di
ques, meneurs d’hommes nés, ils n’ont pas gnement sa mission universelle pour que soit
en général, été autre chose que des chefs de maintenu vivant le sens de la grandeur fran
bande, capables de réussir dans les meilleures çaise. C’est d’ailleurs de toute évidence le
conditions l’attaque de la diligence. Or, il propos du Général de Gaulle.
n’y a rien de commun entre la guerre des Pratiquement, on aurait peut-être avantage
embuscades et la conduite de gros oataillons, en partant de la troupe F.F.I. à lui donner
entre l’existence au jour le jour sous le signe des cadres de toutes les origines, le plus tôt
des plus hautes fantaisies du maquis et l’exis possible.
tence monocorde organisée industriellement Il faut aussi rapidement récompenser les
des armées modernes. La plupart des mili mérites de chacune des parties en les établis
taires de carrière s’étant cantonnés dans un sant à partir d’une base commune bien nette.
Ce travail de justice est capital et ne doit
monde fermé.
Il n’y a guère que quelques chefs F.F.I.- souffrir aucun passe-droit.
qui ont réussi à la fois à s’imposer par leurs Il faut enfin, et c’est le point essentiel,
qualités de techniciens, parce que nourris organiser la formation des cadres. Les ca
dans le sérail, et à réunir les suffrages d’une dres anciens doivent être confrontés au cours
bande parce qu’ayant compris l’âme popu de stages courts, destinés à faire découvrir
laire, ayant identifié leurs idéaux à ceux de des richesses mutuelles et complémentaires,
leurs hommes, point capital. à définir l’idéal commun.
Les chefs F.F.I. ont commis une lourde Mais l’avenir de l’Armée tient en définitive
faute. Ils ont donné à penser en se couvrant dans la formation des jeunes cadres. Si l’on
d’une façon inconnue jusqu’alors de grades veut réouvrir les grandes écoles militaires, il
et de décorations, que leur action avait un faut changer de programmes et de méthodes
caractère personnel, et manquait de désinté et surtout bien choisir les hommes à qui l’nn
ressement. Cette mascarade très sud-améri confiera le soin merveilleux d’élever les fu
caine ne serait que plaisante si elle n’était turs officiers de l’Armée nouvelle.
qu’épisodique. On est en droit de craindre,
hélas, qu’elle ne soit un des principaux obsta Seguret.
Le sourire d’un solde* bien entraîné, bien équipé,
confiant dans ses armes et dans sa force... l'allure
sportive de l'armée nouvelle.