Page 12 - aux_armes_N6
P. 12

jà conscients en 1940 de la nécessité de réfor­  cles à la mise sur pied de l’armée de demain.
          L’ARMÉE NOUVELLE (suite et fini               mes considérables, la plupart des jeunes   Comme dans l’Armée d’Afrique, il y a les
                                                        Français souhaitent une France nouvelle et   « évadés » et ceux qui ne le sont pas : dans
                                                        les F.F.I. sont les plus ardents d’entre eux.  les F.F.I. il y a cqux qui sont venus combattre
                   gnorer le désintéressement, la générosité, le   Dire maintenant ce qui définit cet esprit   sur le front de l’Est et ceux qui sont restés
                   patriotisme foncier de l’officier de carrière.   révolutionnaire est plus malaisé. Dans les   à l’intérieur. La confrontation a montré cer­
                   Contrairement à des croyances tenaces et un   grandes lignes, le socialisme est admis comme   taines supériorités dans les possibilités de la
                   peu sottes, le soldat de métier, en général,   un fait acquis à condition toutefois que ce   troupe F.F.I., mais aussi l’infériorité tech­
                   vit pauvrement, fait preuve de conscience   socialisme respecte les libertés de chacun,   nique des cadres F.F.I. vis-à-vis de leurs
                   professionnelle, témoigne d’une honnêteté,   qu’il ne soit pas exagérément communautaire,   frères de la Première Armée. Ces derniers
                   parfois d’une grandeur qui, à tout prendre,   qu’il ne supprime pas la propriété mais qu’il   ont un peu abusé de ]eur victoire, une vic­
                   sont bien des vertus.                soit bien égalitaire. On retrouve là toutes   toire gagnée d’avance.
                    Enfin, on a beaucoup critiqué la fidélité des   sortes de vieilles tendances traditionnellemjent   A l’heure actuelle, il y a quelque mélan­
                   militaires à un serment. Sans doute, en cer­  françaises.                 colie à être officier d’active, ancien membre
                   taines circonstances, le patriotisme doit-il   En ce qui concerne l’Armée, chacun con­  de la Résistance maintenant en ligne. Tel
                   commander même le parjure. Mais lorsque les   çoit des réformes à sa façon. Bon nombre   homme avait pensé accomplir un devoir dif­
                   circonstances exceptionnelles n’existent plus   d’idées extravagantes ont cours : on reparle   ficile, mais nécessaire, en demeurant sur le sol
                   et qu’on souhaite revenir à la norme, il faut   de discipline librement consentie, de juge­  de la Patrie. Pendant des années, il a lutté,
                   se hâter de recommander à nouveau l’esprit   ment des supérieurs par les subordonnés, de   toujours dans des conditions dangereuses.
                   d’obéissance qui fait la servitude du soldat,   suppression des sous-officiers, etc... Encore   Combien de camarades fusillés, torturés ou
                   mais aussi sa grandeur.              une fois, tout cela relève d’un socialisme   déportés ! Il a commandé à des centaines, des
                    Pour terminer, n’omettons pas de signaler   humanitaire et libertaire, un peu désuet, un   milliers d’hommes dont il était le chef d’é­
                   que F Armée d’Afrique du Nord comporte   peu naïf, passablement idéaliste, mais géné­  lection. La libération survenue il a pensé
                   deux catégories, elle aussi : celle des mili­  reux. charitable.          poursuivre au mieux sa mission en se préci­
                   taires surpris en Afrique même par le débar­  Les F.F.I1. pêchent par leurs cadres. Les   pitant aux côtés de ses frères d’arme d’Afri­
                   quement anglo-saxon et celle des « évadés ».   petits cadres sont inexistants. A l’échelo-i   que. Maintenant il ne commande au mieux
                   Ces derniers ont eu une occasion qui ne s’est   officier, la confusion est grande. On trouve   qu’à un bataillon, ‘ la plupart du temps qu’à
                   pas offerte aux autres, mais qui n’en prouve   parfois le petit commerçant, l’ouvrier, même   une compagnie, souvent à rien du tout. Il
                   pas moins en faveur de leur volonté énergique   l’étudiant, le professeur que la Résistance a   reste mal chaussé, mal vêtu, mal armé. Dans
                   de manifester par un acte personnel leurs   révélé à lui-même, qui est un soldat né :   la Résistance il inquiétait en sa qualité de
                   convictions.                         ceux-là, il faut les distinguer et les retenir   professionnel ; à côté des professionnels, il
                                                        soigneusement. Il y a aussi le petit chef de   sent de leur part une méfiance à l’égard du
                  3® Les F. F. I.                      bande local dont le rayonnement n’excède   maquisard. Pour couronner l’ensemble, on lui
                    Les F.F.I. ont une force considérable : ils   pas son canton ni sa commune, beaucoup   ordonne sans précautions oratoires après des
                  ont dans leurs bataillons une grande quantité   plus capable de faire de la Résistance spec­  années de combat irrégulier et des mois de
                  de purs Français. Si l’on veut parler d’Armée   taculaire que du vrai combat. Il y a le   combat régulier, de faire une demande de
                  Nationale, elle est là ; cent fois plus nom­  conjuré des villes, l’homme des comités de   « réintégration » dans l’Armée, dont il pen­
                  breuse que l’Armée Gaulliste de la première   province ou même des Comités Nationaux qui,   sait n’avoir pas été chassé.
                  heure, beaucoup moins coloniale, beaucoup   au dernier moment, s’est octroyé le grade qui
                  plus spontanée que l’Armée d’Afrique du   lui paraissait correspondre à son importance.  4® Les Prisonniers.
                  Nord.                                  Il y a enfin les officiers de carrière de­  Il n’est guère possible de traiter le pro­
                    Ces volontaires sont pleins d’enthousiasme,   meurés en France. Dans leur ensemble, ils   blème sans en connaître les éléments. On peut
                  très jeunes, capables de grandes choses, ils   son restés assez à l’écart de la Résistance et   simplement dire que, dans l’organisation de
                  ne savent pas toujours très bien ce qu’ils veu­  c’est fort regrettable. Ils ont souffert, c’est   l’Armée nouvelle, il faudra préciser nette­
                  lent, mais ils le veulent avec force. La troupe   entendu, de la méfiance systématique des   ment la place faite à ceux qui reviendront de
                  F.F.I. est une troupe comme la France le   mouvements clandestins ; par un paradoxe   captivité. Et il ne sera pas facile d’être juste
                  s’en est pas offerte depuis longtemps.  singulier, le socialiste libertaire, en même   tout en conservant le souci essentiel de ne
                    Il est intéressant de noter que cette armée   temps qu’il criait « Aux Armes ! » et se nom­  pas encombrer l’Armée d’éléments usés ou
                  F.F.I. se donne comme révolutionnaire. Il   mait lui-même Colonel, n’arrivait pas à dé­  simplement désabusés.
                  serait étonnant qu’elle ne le fût pas. Elle   pouiller son antimilitarisme de tradition.
                  s’est constituée en dehors de tous cadres tra­  Mais aussi, bien souvent, le militaire de mé­  5® Conclusion.
                  ditionnels, en dehors, de la loi en cours, avec   tier est resté en France dans ses pantoufles.
                  des éléments très jeunes à la recherche de   Et cependant, il est permis de croire que   Les différences entre les éléments de la
                  leur assiette. Par surcroît, comment les ado­  le meilleur devoir de l’officier fin 1942 était   future Armée sont suffisamment accusées
                  lescents de la période 1939-44 n’auraient-ils   de prendre en mains sur le plan militaire la   pour qu’on puisse considérer leur réunion
                  pas été impressionnés par le caractère révo­  résistance' française, à condition qu’il ne fût   comme délicate. Et cependant, une Armée
                  lutionnaire d’une guerre mondiale dont ils   pas d’un grade trop élevé, ou qu’il ne fût pas   qui rassemblerait les qualités de techniciens,
                  étaient les spectateurs et les auteurs ?  trop connu de la Gestapo. Un bon nombre   le sens de la tradition des militaires de
                    Pendant l’occupation, les Allemands ont   d’entre eux, heureusement, l’ont compris.  l’Armée d’Afrique, l’entrain, le non-confor­
                  présenté une démonstration du National-So­  Cependant, beaucoup d’officiers de carrière   misme, la générosité du F.F.I. bon teint,
                  cialisme ; à l’extérieur les Russes faisaient   qui entrèrent dans l’action le firent avec une   la vitalité, le patriotisme ardent et le sens
                  découvrir la surprenante vigueur du commu­  certaine lenteur. Les uns adhérèrent aux mou­  de l’aventure du gaulliste de la première
                  nisme en armes. D’autre part, les nécessités   vements de résistance à qui ils rendirent en   heure, serait une belle Armée.
                  de la guerre, l’obligation de contrôles de tou­  général des services signalés sur le plan mi­  Sans donner à cette Armée la valeur d’une
                  te sorte, la mort, brusque en somme, du libé­  litaire, les autres constituèrent un mouve­  puissance politique, ce qui serait une faute,
                  ralisme, posaient tout de go à la population   ment particulier 1’0.R.A. dont le but était   il est nécessaire de lui enlever toute tentation
                  française le problème de l’Etatisme, du So­  de créer une force purement militaire, déga­  de fonctionnarisme en définissant plus exac­
                  cialisme, si on veut.                gée de toute influence politique.    tement que naguère l’idéal qu’elle doit servir.
                   Remués au profond d’eux-mêmes par les   L’ensemble des cadres F.F.I. a donc tou­  La défense du pays est un prétexte insuffi­
                  transformations auxquelles ils assistaient, dé­  jours manifesté une valeur militaire médiocre.   sant ; il faut que l’Armée de demain com­
                                                       Presque tous courageux, ardents, dynami­  batte pour que la France puisse remplir di­
                                                       ques, meneurs d’hommes nés, ils n’ont pas   gnement sa mission universelle pour que soit
                                                       en général, été autre chose que des chefs de   maintenu vivant le sens de la grandeur fran­
                                                       bande, capables de réussir dans les meilleures   çaise. C’est d’ailleurs de toute évidence le
                                                       conditions l’attaque de la diligence. Or, il   propos du Général de Gaulle.
                                                       n’y a rien de commun entre la guerre des   Pratiquement, on aurait peut-être avantage
                                                       embuscades et la conduite de gros oataillons,   en partant de la troupe F.F.I. à lui donner
                                                       entre l’existence au jour le jour sous le signe   des cadres de toutes les origines, le plus tôt
                                                       des plus hautes fantaisies du maquis et l’exis­  possible.
                                                       tence monocorde organisée industriellement   Il faut aussi rapidement récompenser les
                                                       des armées modernes. La plupart des mili­  mérites de chacune des parties en les établis­
                                                       taires de carrière s’étant cantonnés dans un   sant à partir d’une base commune bien nette.
                                                                                            Ce travail de justice est capital et ne doit
                                                       monde fermé.
                                                         Il n’y a guère que quelques chefs F.F.I.-   souffrir aucun passe-droit.
                                                       qui ont réussi à la fois à s’imposer par leurs   Il faut enfin, et c’est le point essentiel,
                                                       qualités de techniciens, parce que nourris   organiser la formation des cadres. Les ca­
                                                       dans le sérail, et à réunir les suffrages d’une   dres anciens doivent être confrontés au cours
                                                       bande parce qu’ayant compris l’âme popu­  de stages courts, destinés à faire découvrir
                                                       laire, ayant identifié leurs idéaux à ceux de   des richesses mutuelles et complémentaires,
                                                       leurs hommes, point capital.         à définir l’idéal commun.
                                                         Les chefs F.F.I. ont commis une lourde   Mais l’avenir de l’Armée tient en définitive
                                                       faute. Ils ont donné à penser en se couvrant   dans la formation des jeunes cadres. Si l’on
                                                       d’une façon inconnue jusqu’alors de grades   veut réouvrir les grandes écoles militaires, il
                                                       et de décorations, que leur action avait un   faut changer de programmes et de méthodes
                                                       caractère personnel, et manquait de désinté­  et surtout bien choisir les hommes à qui l’nn
                                                       ressement. Cette mascarade très sud-améri­  confiera le soin merveilleux d’élever les fu­
                                                       caine ne serait que plaisante si elle n’était   turs officiers de l’Armée nouvelle.
                                                       qu’épisodique. On est en droit de craindre,
                                                       hélas, qu’elle ne soit un des principaux obsta­              Seguret.
                  Le sourire d’un solde* bien entraîné, bien équipé,
                  confiant dans ses armes et dans sa force... l'allure
                        sportive de l'armée nouvelle.
   7   8   9   10   11   12   13   14   15   16   17