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LE FUTUR VISAGE DE LA FRANCE (sun FIN
déraient avant le cataclysme. Je leur dis, vous leur Plus tard, de Gaulle devait préciser ce programme par
dites, qu’ils en seront pour leurs illusions. La France une condamnation radicale du régime des trusts.
qui reparaîtra, après avoir brisé ses chaînes, ne sera « La France nouvelle admet l’utilité du juste profit.
plus la France de naguère. Ah ! certainement, nos Mais elle ne tiendra plus pour licite aucune concentra
plaines, nos vallées, nos montagnes seront toujours tion d’entreprise susceptible de dévoyer la politique
les mêmes, certainement nos villes et nos villages économique et sociale de l’Etat et de régenter la condi
garderont leur figure, certainement notre race conser tion des hommes. (Alger, 17 mars 1944).
vera ses caractères de vingt siècles. Les Français et 3» Une démocratie nouvelle.
les Françaises, j’en suis sûr, n’auront pas perdu leurs
qualités, ni probablement leurs défauts, et cependant La réforme de la démocratie portera sur les institutions, mais
ce peuple aura subi tant de douleurs, ce peuple, qui gar aussi sur leur mode de fonctionnement. L’expérience de la
dera le cadre naturel dans lequel il vivait, qui restera Troisième République ne sera pas perdue : des institutions
à la tête du même empire, ce peuple, dis-je, aura subi nouvelles de gouvernement, telle est sur ce point la revendica
tant de douleurs, il aura fait tant d’expériences sur lui- tion du Général de Gaulle.
même et sur les autres, il aura comprimé en lui tant « C’est une démocratie renouvelée dans ses organes
d’espoirs et tant de fureur, qu’une fois ses liens brisés, et surtout dans sa pratique que notre pays appelle de
soyons sûrs qu’il sera décidé à priser ses vieilles idoles, ses vœux. Pour y répondre, le régime nouveau devrait
routines et formules, qui ont manqué le faire périr comporter une représentation élue par tous les hommes
et qu’il voudra reparaître sous une formé neuve ». et toutes les femmes de chez nous, s’astreignant à un
fonctionnement politique et législatif
Enfin, en février 1944, de Gaulle devait très différent de celui qui finit par para
résumer tout cela en une phrase suffisam lyser la Troisième République. Quant au
ment nette pour que ses buts ne soient plus Gouvernement, que la confiance de la
désormais déformés par la propagande adverse, représentation nationale charge du pou
ni méconnus par certains de ses propres par voir exécutif, il serait mis à même de
tisans. le porter avec la force et la stabilité
La France est décidée à abandonner son an qu’exigent l’autorité de l’Etat et la gran
cienne figure politique, sociale et morale, deur extérieure de la France. Mais la dé
et veut faire en sorte que la souverai mocratie française devrait être une dé
neté nationale puisse désormais s’exer mocratie sociale, c’est-à-dire assurant
cer sans intrigue. organiquement à chacun le droit et la
liberté de son travail, garantissant la
dignité et la sécurité de tous dans un
HL — LES GRANDES LIGNES système économique tracé en vue de la
DE LA REVOLUTION A FAIRE mise en valeur des ressources nationales
et non point au profil^ d’intérêts particu
Si les circonstances interdisaient à ce mo liers, où les grandes sources de la ri
ment que soit précisé le programme positif, chesse commune appartiendront à la
néanmoins quelques grandes lignes s’en dégageaient déjà. Nation, où la direct-'on et le contrôle de l’Etat s’exerce
ront avec le concours régulier ae ceux qui travaillent
1° Pas de compromission. et de ceux qui entreprennent. Enfin, les hautes valeurs
Depuis juin 1940, de Gaulle a suivi sur tous les plans une intellectuelles et morales dont dépendent les ressorts
voie droite. Il n’a accepté de marchandage à aucun moment. profonds et le rayonnement du pays devront être à même
Et pas plus qu’il n’avait traité en Algérie avec les potentats de collaborer directement avec les pouvoirs publics.
de Vichy, il n’a traité avec eux en France. Il ne s’agit pas (Alger, 17 mars 1944).
d’une question de personne, il s’agit d’une question de prin 4° Une promotion des élites.
cipes, d’une question de moralité, il s’agit de préserver l’in
tégrité de la Révolution à venir. « La Nation, s’écriait de A cette démocratie renouvelée, il faudra des chefs à tous
Gaulle aux temps troubles du Darlanisme, la Nation, elle les échelons. Pour remplacer les arrivistes et les politi
ne veut pas qu’on pourrisse notre Libération ». (Londres ciens apparaîtront des hommes nouveaux, formés par la
3 décembre 1942). Il savait en effet que cette conduite était trempe des combats, habitués dès leur jeunesse à l’exercice des
responsabilités parce qu’ils auront combattu et commandé seuls,
le seul point solide où pût encore s’accrocher l’espérance
d’un peuple trahi et déboussolé. Le Gaullisme possédait une parce qu’ils auront rompu par un acte d’insurrection avec les
lâches et les traîtres. Cette élite aura assez de caractère pour
force précieuse, qui, après quatre années d’une rectitude
unique dans l’histoire, fit d’un groupe de fanatiques le sym reconstruire, et pour effacer à jamais les traces de ce réginle
bole même de la grandeur française : le Gaullisme ne compo d’incapacité que Barnanos a stigmatisé du mot le plus exact:
sait pas. « La Révolution des ratés ».
« Pour animer et conduire demain cette Nation renou
« Il ne saurait y avoir, je le déc'are avec force, au
cune autre autorité publique que celle qui procède du velée, il lui faudra des cadres nouveaux, la faillite des
pouvoir central responsable. Tout essai de maintien, corps, qui se disaient dirigeants ne fut que trop claire
et ruineuse. Tout ce qu’elle subit, la France ne l’aura pas
même partiel, ou camouflé d’un organisme de Vichy
comme toute formation artificielle de pouvoirs exté subi pour reblanchir ses sépulcres. C’est dans la résis
rieurs au Gouvernement seraient par avance condam tance et c’est dans le combat qu’en ce moment se révè
lent les hommes que notre peuple jugera dignes et capa
née ». (Alger 17 mars 1944).
bles de diriger ses activités. De ces jeunes hommes vail
2° Une révolution économique et sociale. lants, trempés par le danger et élevés au-dessus d’eux-
En tête du programme constructif du gaullisme viennent mêmes par la confiance des autres. La Patrie peut atten
naturellement des réformes économiques et sociales. Le Fran dre demain le dévouement, l’initiative, le caractère qu’ils
çais du peuple, volontaire et souvent martyr de la résistance, prodiguent héroïquement pour la servir dans la guerre.
a le droit d’exiger après guerre que sa place dans la Nation (20 avril 1943).
soit pleinement reconnue. C’est pour cette France plus juste Telles sont les grandes lignes d’une Révolution que la France
qu’il combat. attend et dont elle a besoin, d’une révolution qui ne saurait
« Un régime économique et social tel qu’aucun mono être comme l’autre une mascarade parce qu’elle situera pro
pole et aucune coalition ne puisse peser sur l’Etat, ni ré fondément ses racines dans la volonté de ceux qui n’auront
gir le sort des individus où, par conséquent, les princi pas voulu désespérer, dans le courage de ceux qui auront
pales sources de la richesse commune soient, ou bien combattu, dans la fidélité de ceux qui seront morts. Nous véri
administrées ou tout au moins contrôlées par la Nation,, fierons ainsi qu’en fin de compte une révolution prend sa
où chaque Français ait à tout moment la possibilité de source bien au delà de la politique, et bien au delà des poli
travailler suivant ses aptitudes dans une condition sus ticiens, qu’une révolution est faite moins de bouleversements
ceptible d’assurer une existence digne à lui-même et à que de fidélité, que, comme l’écrivait Péguy, « Ce ne sont
sa famille, où les libres groupements de travailleurs et pas les hommes en dehors, ce sont les hommes en dedans,
de techniciens soient associés à la marche des entre qui font les révolutions ». Autrement dit, qu’une révolution
prises, telle est la féconde réforme dont le pays renou véritable mûrit longtemps avant de se faire, mûrit dans le
velé voudra consoler ses enfants. (20 avril 1943). » sang, dans les larmes, mûrit dans le cœur des hommes de foi.
J.-M. DOMENACH.