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                  une fraction importante du peuple
                  français, en réalité ne la représentent
                  plus, parce que, dans sa douleur, le
                  peuple français, croyez-moi, a fait
                  une révolution (Londres, 27 mai 1942).
                 Cette révolution dont il a compris dès
               le début qu’elle était inséparable de la
               guerre, il constate maintenant qu’elle est
               déjà commencée dans les esprits. En vé­
               rité, cette révolution n’est pas d’abord
               politique. Ce qui fait sa force, ce qui
               garantit pour l’avenir son authenticité,
               c’est qu’elle naît d’un sursaut d’honneur,
               d’une volonté de pureté, du désir enfin
               d’un style jeune et viril ; elle est d’abord
               une protestation contre la lâcheté, la
               complaisance, l’hypocrisie, les coups
               fourrés ; c’est tout cela qu’il proclame
               devant un public anglais. Il a été pro­
               noncé peu de paroles aussi hautes durant
               cette guerre, en tout cas par un homme
               qui avait le droit de les prononcer — et,
               si on les replace à leur époque — peu
               d’aussi franches et d’aussi audacieuses.
                   « C’est une révolution', la plus gran­
                  de de son histoire, que la France, tra­
                  hie par ses élites di'igeantes et par
                  ses privilégiés, a commencé d’accom­
                  plir. Et je dois dire à ce sujet que les
                  gens qui, dans le monde, se figure­
                  raient pouvoir retrouver, après le der­
                  nier coup de canon, une France politi­
                  quement, socialement, moralement pa­
                  reille à celle qu’ils ont jadis connue,
                  commettraient une insigne erreur.
                  Dans le secret de ses douleurs, il se
                  crée en ce moment même, une France
                  entièrement nouvelle, dont les guides
                  seront des hommes nouveaux.
                   Les gens qui s’étonnent de ne pas
                  trouver parmi nous des politiciens
                  usés, des académiciens somnolents,
                  des hommes d’affaires manégés par
                  les combinaisons, des généraux épui­
                  sés de grades, font penser à ces attar­
                  dés des petites cours d’Europe qui,
                  pendant la dernière révolution fran­
                  çaise, s’offusquaient de ne pas voir
                  siéger Turgot, Neckeret, Leménie de
                  Brienne, au Comité du Salut Public.
                  Que voulez-vous, une France en révo­
                  lution préfère toujours gagner la
                  guerre avec le Général Hoche plutôt
                  que de la perdre avec le Maréchal
                  Soubise.
                   Messieurs, Clémenceau disait de la
                  Révolution : « C’est un bloc ». On peut
                  dire la même chose de cette guerre
                  indivisible. Aux pires moments d’un
                  conflit, qui est rigoureusement un
                  conflit moral, il n’est pas permis
                  aux démocraties de ruser avec leurs   mettraient en danger la cause com­  social nouveau, tantôt les deux à la fois.
                  devoirs. Il ne serait pas tolérable que   mune à tous. A cet égard, la France   Le 26 juin 1943, il déclarait dans un dis­
                  le soi-disant réalisme, qui, de Munich   combattante prétend donner l’exem­  cours où se mêlaient humainement à la
                  en Munich, a conduit la liberté jus­  ple dans toute la mesure de ses   polémique Ja pitié pour la France qui
                  qu’au bord même de l’abime, conti­   moyens. Elle a pleinement confiance   souffre et un amour simple et délicat
                  nuât à tromper les ardeurs et à trahir   que ses alliés la paieront de retour.   pour la patrie charnelle.
                  les sacrifices. Nous nous battons con­  (Londres, 1er avril 1942).         « Des esprits superficiels, et qui
                  tre le mal et nous avons tous engagé   Désormais, dans la plupart de ses dis­  s’accrochent aux cendres du passé,
                  dans la partie le même enjeu terri­  cours, le Général de Gaulle reviendra sur   peuvent bien croire, s’ils le veulent,
                  ble, le destin de nos patries. Nul n’a,   ce thème, développant tantôt sa face né­  qu’ils retrouveront le pays tel qu’ils
                  vis-à-vis des autres comme vis-à-vis   gative — la France a condamné le ré­  l’ont jadis connu. Ils peuvent bien,
                  de lui-même, le droit de faire au mal   gime ancien, tantôt sa face positive —   s’ils le veulent, considérer nos af­
                  aucune de ces lâches concessions qui  la France veut un régime politique et   faires sous l’angle où ils les consi-
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