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LE ïUTlB VISAGE                                                                                 DE












                    l’heure où le Gouvernement de la                                         régime en décadence, ses gouverne­
                A    France semble hésiter devant les   EXTRAITS DES DISCOURS                et l’affreuse tyrannie des maîtres
                                                                                             ments de prébende et de privilèges,
                     mesurés à prendre, à l’heure où
                     quelques-uns des meilleurs parmi
                     les résistants, et qui n’ont pas                                        esclaves de l’ennemi, leurs caricatures
                                                                                             de lois, leur marché noir, leurs ser­
                abandonné leur place au combat, sentent                                      ments imposés, leur discipline par
                quelquefois le découragement les enva­  GÉNÉRAL DE GAULLE                    délation, leurs microphones dans les
                hir, il est utile de relire quelques pas­                                    antichambres. Nous tenons pour né­
                sages des discours que le Général de                                         cessaire qu’une vague grondante et
                Gaulle prononça alors qu’il n’était pas                                      salubre se lève du fond de la nation
                encore un Chef de Gouvernement.      taire et tenace, dans la grandeur, dans   et balaie les causes du désastre pêle-
                 Résistants, nous avons voulu conjoin­  la pérennité de la France. Cette poignée   mêle avec l’échafaudage bâti sur la
                tement l’expulsion de l’ennemi et la cons­  d’hommes qui se ressaisit ne le fait, ne   capitulation. Et c’est pourquoi l’ar­
                titution d’une France nouvelle, plus   pouvait pas le faire sur un programme   ticle deux de notre politique, c’est de
                                                     politique, mais sur les réalités françaises
                grande et plus juste, qui ferait place à                                     rendre la parole au peuple dès que les
                                                     les plus simples, sur les vertus françaises
                tous ses enfants puisqu’aussi bien tous   les plus authentiques, sur le courage, sur   événements lui permettront de faire
                ses enfants, volontairement, la défen­  l’honneur, et avant tout sur l’espérance.  connaître librement ce qu’il veut et
                daient. Que notre Résistance dépassât                                        ce qu’il ne veut pas.
                les limites d’un sursaut patriotique,   C’est pourquoi, pendant un an et demi,   Quant aux bases de l’édifice futur,
                qu’elle dût se prolonger dans une libé­  la « France Libre » et la première résis­  des institutions françaises, nous pré­
                ration qui fût libération économique et   tance de zone occupée n’eurent point   tendons pouvoir .es définir par con­
                sociale de l’homme, nous l’avons tou­  d’autre tremplin que cette pure réaction   jonction des trois devises qui sont
                jours pensé avec le Général de Gaulle.  patriotique, que cette espérance qui   celles des Français libres. Nous di­
                                                     s’obstine contre toute évidence et refuse   sons : « Honneur et Patrie » entendant
                    « La Résistance Française, telle que   la suprématie du mal. Aux Français li­
                   nous l’avons conçue tout de suite et                                      par là que la nation ne pourra revi­
                   telle en effet qu’elle s’est révélée est   bres, la Révolution Nationale apparaît   vre que dans l’air de la victoire et
                                                     impossible, ^arce que grevée dès l’ori­
                                                                                             subsister que dans le culte de sa pro­
                   certes une force de guerre dans ce   gine par la pression ennemie, et, dès le
                   conflit qui bouleverse le monde, mais   26 juin, de Gaulle répondait à Pétain :   pre grandeur. Nous disons « Liberté,
                                                                                             Egalité, Fraternité » parce que notre
                   aussi une force de renouveau. C’est   « Dans quelle atmosphère, par quels
                   ce caractère-là que n'ous avons voulu   moyens, au nom de quoi voulez-vous que   volonté < st de demeurer fidèles aux
                                                                                             principes démocratiques que nos an­
                   qu’elle prit dès la première heure ;
                   c’est ce caractère-là qu’elle a pris.   la France se relève, sous la botte alle­  cêtres ont tiré du génie de notre race
                                                      mande et l’escarpin italien? ». De Gaulle
                   C’est pourquoi elle est pour demain   proclame alors sa volonté de renvoyer   et qui sont l’enjeu de cette guerre
                                                                                             pour la vie et pour la mort. Nous di­
                   l’élément essentiel du renouvellement   toute question de réforme au moment où   sons « Libération » et nous disons
                   de la Patrie dans la paix, la force sur   le peuple Français recouvrera sa souve­  cela dans la plus large acception du
                   laquelle par excellence la Patrie   raineté. Mais peu à peu cette première   terme, car si l’effort ne doit pas se
                  compte. Elle y compte quels que    réaction patriotique prend des formes   terminer avant la défaite et le châ­
                   soient les titres, les origines, les par­  plus larges. La France libre, dans sa   timent de l’ennemi, il est d’autre part
                   tis des bons Français qui ont voulu
                   courir tant de périls obscurs pour la   volonté de refuser la défaite, en vient   nécessaire qu’il ait comme aboutis­
                                                     nécessairement à condamner les respon­
                                                                                              sement pour chacun des Français, une
                   France ».
                                                     sables de cette défaite en même temps   condition telle, qu’il lui soit possible
                  Telle fut en effet l’originalité de la   que ses exploiteurs, et tout naturellement   de vivre, de penser, de travailler,
                Résistance. La lui déniera-t-on mainte­  au rêve d’une France libérée s’associe   d’agir dans la dignité et la sécurité.
                nant? Cet immense potentiel d’énergie   le désir d’un rég me nouveau. Dans le   Voilà l’article trois de notre politi­
                restera-t-il inutilisé? Et les grandes pa­  discours-programme du 15 novembre   que I »
                roles qui, dans les heures sombres, four­  1941, le Général de Gaulle établit les
                nirent un but à notre volonté de croire,   trois points d’une politique qui désor­  IL — LA RUPTURE AVEC LE REGIME
                qui réchauffèrent tant de camarades et   mais restera immuable. Et si l’article
                leur donnèrent le courage de mourir, ces   premier de cette politique consiste jus­  ET LES MŒURS D’AVANT-GUERRE
                promesses d'une patrie plus humaine et   tement à faire la guerre, le second pro­  Désormais le Général de Gaulle en­
                plus noble, demeureront-elles lettre   clame la nécessité d’une révolution :  veloppe dans la même réprobation les
                morte ?                                   « Si la situation de notre Patrie écra­  politiciens incapables et véreux d’avant-
                 Telles sont les questions que nous nous   sée, pillée, trahie, exige que nous nous   guerre, et les politiciens collaborateurs
                posons, qu.e nous posons respectueuse­  absorbions dans la tâche de la guerre,   qui exploitent la défaite (Laval, le plus
                ment à celui dont nous n’oublierons ja­  nous ne pouvons nous détacher de ce   grand homme du régime nouveau n’est-il
                mais qu’il fut le premier à prononcer des   que peut et doit être le destin inté­  pas en même temps l’un des plus repré­
                paroles de grandeur et d’espérance.     rieur de la nation. Nous le pouvons   sentatifs des mœurs du régime ancien?).
                                                        d’autant moins que le désastre mo­  Et lorsque, dans une conférence de presse
                I. — LIBERATION ET REVOLUTION           mentané de la France a bouleversa de   un journaliste lance en avant le nom de
                       SONT INSEPARABLES                fond en comble les fondements mêmes   Chautemps, de Gaulle le récuse avec
                  Lorsque, le 18 juin 1940, le Général de   de son existence, emporté les insti­  une ironie cinglante. La position révo­
                Gaulle lance son appel aux armes,       tutions qu’elle pratiquait antérieure­  lutionnaire qu’adopte de Gaulle est
                                                                                           d’abord un parti-pris de pureté. Malgré
                il n’a ni mandat ni délégation, jl n’est   ment, altéré profondément la condi­  les pressions, il refuse d’augmenter Son
                encore ni président de Comité, ni Chef   tion de chaque individu et, par dessus
                 de Gouvernément, il n’est rien. C’est   tout, jeté daf\s les âmes mille fer­  prestige en acceptant dans son comité
                seulement un soldat qui parle à des sol­  ments passionnés. Si l’on a pu dire   les malins et les pourris. Aux Améri­
                dats ; un soldat qui, au moment le plus   que cette guerre est une révolution,   cains il lance cet avertissement :
                tragique, a senti par où passait le des­  cela est vrai pour la France plus que   La France a été naturellement bou­
                tin de France, par où passaient à la fois,   pour tout autre peuple.          leversée jusque dans ses profondeurs
                comme il devait le dire plus tard, la     Nous savons que l’immense majo­     par le désastre et les conséquences
                passion et le bon sens. Aussi n’y a-t-il   rité des Frahçais dans laquelle nous   du désastre. A cause de cela, beau­
                d’abord dans son attitude, dans ses pro­  comptons, a définitivement condamné   coup d’hommes qui paraissent encore
                clamations, qu’un acte de foi élémen-   à la fois les abus anarchiques d’ün   à l’étranger représenter réellement
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