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brasier gigantesque ronflait dans l’escalier. Coûte que coûte,
LA FABULEUSE ÉVASION DU CAPITAINE G. (suite et fin) il fallait partir. Laissant tout, sauf son colt, le Capitaine par-
’tit. Au second étage, des portes fermées à clef interdisaient
cuisine. Ils étaient là une quarantaine de miliciens qui occu les couloirs. Heureusement, les portes de communication exis
paient le château et montaient la garde dans le parc, assistés taient entre les chambres, que les Allemands n’avaient pas
de chiens policiers. Le Capitaine, cependant, ne dormait pas. pensé à fermer. Dans la seconde chambre, le Capitaine tomba
Ayant devant lui quelques vivres et même quelques livres, sur un Allemand en train d’incendier le lit. L’Allemand, suf
car tout était prévu, il décida de sauver le plus précieux: foqué de cette apparition, ouvrit la bouche. L’exclamation
c’est-à-dire les armes et l’essentiel de la documentation. A lui resta dans la gorge ; il était mort. Pour plus de sûreté,
10 h. 30, le jeudi 16, il quitta sa cachette, et, avec des ruses le Capitaine déposa le corps sur le lit qui brûlait. Il repartit.
de Sioux, réussit à gagner, sa chambre où le pillage avait déjà Au premier étage, un coup de revolver l’accueille et le man
commencé. Et, après cinq ou six voyages au cours de la jour que. Le Capitaine riposte, et décidément bon tireur, descend
née, il réussit à remonter quelques armes qui avaient été soi son second boche, un officier cette fois. Une arme merveilleuse
gneusement cachées et des papiers importants. Cependant, que ce colt. Entre le premier et le rez-de-chaussée, l’escalier,
les miliciens, qui avaient constaté des fuites, se figuraient grenadé, était impraticable.. Les flammes commençaient à
que le « terroriste » revenait la nuit récupérer ses affaires se répandre. Le Capitaine, s’accrochant à des débris calcinés,
et montaient des gardes plus sévères. Et le Capitaine G. pou sauta, tandis qu’une grenade éclatait près de lui sans le
vait les voir de sa lucarne et les entendre qui se disputaient blesser.
son sort. L’un prétendait l’avoir vu et blessé, l’autre promet
tait sa peau. Ils ne se doutaient pas que s’ils avaient levé Mais les issues du château en flammes étaient gardées. Com
la tête... ment sortir ? Nous avions repéré une espèce de passage sou
terrain qui, de la cuisine qui se trouvait en sous-sol, menait
Mais le temps passait et la Milice ne partait pas. Le Capi à une sorte d’orangerie qui donnait dans le parc sur le der
taine était inquiet. Ce vendredi soir, 17 décembre, deux d’en rière du château. C’est par là que le Capitaine se dirigea.
tre nous devaient rentrer au château. Non prévenus, ils tom Mais la sortie était tenue par des sentinelles. Heureusement
beraient dans la souricière. Il fallait les avertir. Le Capitaine une fenêtre était ouverte, qui donnait sur le côté sud du châ
décida de tenter une sortie pour 22 heures. Il faisait sombre teau, endroit d’accès difficile et qui n’était pas gardé. Le
dans les corridors du château. Tapi sous une couverture Capitaine sauta. Un saut de trois ou quatre mètres, et d’atter
qui lui permettrait de se dissimuler à tout instant, le revol rissage difficile sur un terrain très en pente. Il saute et se
ver entre les dents, le Capitaine rampait' en descendant les iamasse bien, aidé par les branchages. Désormais la liberté
escaliers. En bas, les miliciens faisaient la fête, et l’on enten est devant lui et, tandis que, dans un grondement formidable,
dait leurs pas à côté. Par une porte dérobée, le Capitaine put le château s’embrase illuminant tout le pays (à 25 kilomètres
sortir sur la terrasse. Mais aussitôt un chien policier se mit m’a raconté un paysan, on pouvait cette nuit-là, lire son
à hurler et les sentinelles chargèrent les mitraillettes. Deux journal), le Capitaine se faufile dans les ombres du parc,
miliciens passèrent à ce moment. Il se jeta dans un placard, entre les pièges à loup disposés là par les miliciens. Il quitte
puis il regagna sa cachette. le parc et gagne Saint-Marcellin où il trouve un abri.
Une nuit, un jour passèrent. Une nouvelle nuit commença. Le journal devait nous apprendre l’incendie du château.
Le temps devenait long et pesait sur- le solitaire. A minuit, Et pendant quelque temps, nous crûmes notre camarade tué
un bruit de camions se fit entendre. Les Allemands reve ou calciné. Et puis nous le revîmes ; il revenait de loin, assez
naient. Une dernière fois ils inspectèrent les lieux. Deux d’en fier de son score d’ailleurs : un homme contre 200 et deux
tre eux s’avancèrent jusqu’à la cloison de briques derrière à zéro! Ceux qui avaient été emmenés par la Gestapo furent
laquelle se tenait le Capitaine, et d’un ton désappointé heureusement relâchés après un mois de prison.
s’écrièrent : « Niemand !» — « Personne ! ». Furieux de Il ne reste plus aujourd’hui sur la colline que les murs crou
l’échec de leur souricière et se doutant encore qu’il y avait lants de notre Thébaide, témoignage de la barbarie impuis
quelque part des terroristes cachés, les Allemands mirent alors sante d’une soldatesque et de l’héroïsme victorieux d’un seul
le feu au château. Le Capitaine n’avait pas prévu cela. Un homme.
J.-M. DOMENACH.
Pkoto* S. C. A. Correspondant CADIN
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