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L’ARMEE

















































                                                    L faut, dans cet enfant, par une im­  l’embrasse; elle l’echauffe de sa gran
                                                     pression grande, salutaire, durable,   âme répandue dans la foule...
                                                     fonder l’homme, créer la vie du    Eh bien ! au nom de nos enfants, ne ”~t
                                                  I cœur...                           laissons pas, je vous prie, périr cette
                                                   Quand l’homme s’est un peu fait en   patrie. Voulez-vous leur léguer le nau­
                                                 lui, son père le prend1: grande fête pu­  frage, emporter leur malédiction... celle
                                                 blique, grande foule dans Paris. Il le   de tout l’avenir, celle du monde, perdu
                                                 mène à Notre-Dame, au Louvre, aux    peut-être pour mille ans, si la France
                                                 Tuileries, vers l’Arc de Triomphe. D’un   succombe?
                                                 toit, d’une terrasse, il lui montre le peu­  Vous ne sauverez vos enfants, et avec
                                                 ple, l’armée qui passe, les baïonnettes   eux la France, le monde, que par une
                                                                                      seule chose : fondez en eux la Foi I
                                                 frémissantes, le drapeau tricolore... Dans   La foi au dévouement, au sacrifice, —
                                                 les moments d’attente surtout, avant la   à la grande association où tous se sacri­
                                                 fête, aux reflets fantastiques de l’illu­  fient à tous ; je veux dire la Patrie. g
                                                 mination, dans ces formidables silences   C’est là, je le sais bien, un enseigne­
                                                 qui se font tout à coup sur le sombre   ment difficile, parce que les paroles n’y
                                                 océan du peuple, il se penche, il lui dit:   suffisent pas, il y faut les exemples...
                                                 Viens, mon enfant, regarde, voilà la   Si prends à part les meilleures, les
                                                 Erancê, voilà la Patrie! Tout ceci c’est   plus honorables, si je les presse un peu,
                                                ‘comme*un seul homme, même âme et     je vois que chacun d’eux, désintéressé
                                                ‘ niême-‘%œur. Tous mourraient pour un   en apparence, a au fond quelque petite
                                                 seul,TSt chacun doit aussi vivre   et mou-  chose en réserve qu’il ne voudrait pour
                                                    !gour tous...                     rien sacrifier...
                                                    ^connais bien peu la nature,   ou cette   Nos habitudes, plus chères encore que
                                                    rrgssion^durera. Il a vu la   Patrie...  nos jouissances, il faudra pourtant bien
                                                                                      les sacrifier, dans quelque temps. Voiol
                                                    'est une personne vivante qu’il tou-   venir le temps des combats...
                                                    , cet enfant» et sent de toutes parts ;
                                                         ut l’embrasser, mais elle, elle         MICHELET, Le Peuple.
                                                                   t*
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