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BIENTOT NOS TROUPES




               VONT TRAVERSER





                                      LE RHIN









                   orturés, déportés, milliers de fusillés, aux yeux vides,   un même nom, et qu’à travers tant d’assassins anonymes,
               T    au visage aboli, vos camarades de combat bientôt vont   formes, ce nom n’est autre que celui du peuple allemand.
                                                                       tant d’officiers complices, tant de bourreaux avec et sans uni­
                    traverser le Rhin. Vos vengeurs.
                      Jamais troupe française ne fut conduite par une mis­  Certes, c’est Wagner qui sévissait en Alsace, et Von Rund-
              sion plus grave et plus exigeante. F.F.I., notre armée est née   stedt, à Paris, mais ceux qu’à connus la population du Ver-
              de ces milliers de morts qui tombèrent au poteau d’exécution   cors, ce sont les soldats d’une division d’infanterie bavaroise,
              et de tous ceux qui moururent achevés après le combat,   qui s’y entendaient fort bien cependant pour empaler les en­
              exsangues sous les coups. L’armée des fusillés, l’armée des
                                                                       fants. En vérité, ce n’est pas 180 criminels de guerre qui équi­
              torturés, l’armée des maudits bientôt entrera en Allemagne
                                                                      libreront jamais le sang d’un seul de nos camarades, ce n’est
              avec les grandes armées du monde.
                                                                       pas 180 criminels de guerre qui équilibreront jamais les otages
                Et déjà des voix s’élèvent qui pardonnent. Mais le cri qui   de Chateaubriand les 70.000 fusillés de Paris, et tous ces
              monte de nos charniers entr’ouverts nous appelle d’abord à   Juifs qu’à Auschwits, las de torturer et de fusiller, ils firent
              la fidélité et à la justice.                            servir de matière première à des industries sans nom.
                Justice pour les otages massacrés, pour les enfants arra­
                                                                        Nous ne voulons pas perpétuer les haines. Il est un peuple
              chés à leurs mères, pour les pendus de Tulle et de Nîmes,
                                                                      allemand aux côtés duquel il faudra vivre. Cependant, si
              pour les soldats du Vercors torturés, pour les fusiliers-marins
                                                                      cette fois encore l’idée du crime n’était pas associée à l’idée
              de Toulon exécutés par l’ennemi qui les avait faits prisonniers,
                                                                      du châtiment, sur quels malentendus menaçants irions-nous
              justice pour notre pays, pour les dernières fermes incendiées
                                                                      construire ?
              d’Alsace, justice aussi pour tous les pays d’Europe, pour des
              êtres innombrables, avilis au rang des bêtes, pour ce million   En 1918, on décida solennellement de punir les criminels
              et demi d’Israélites qui disparurent à Lublin dans les fours   de guerre. Cela se termina à Leipzig par quelques mois de
              à gaz et dans les fosses qu’on leur fit creuser. Justice pour   prison. Nous n’avons plus le droit d’être aussi lâches et aussi
              cette série ininterrompue de forfaits, depuis le mitraillage des   impuissants. Certes, il n’appartient pas à chacun de régler
              réfugiés en 1940 aux ravages effroyables qu’ils commirent   des comptes personnels. L’ère de la vendetta doit finir, et
              dans les villages des Ardennes pendant leur dernière offen­  nous avons d’abord le devoir de rester dignes de notre idéal.
              sive. Dans cet instant même, les partisans italiens, nos cama­  Mais il appartient aux nations alliées de mener en Allemagne
              rades pourchassés par la S.S. et la Gestapo, subissent à leur   une politique une et sévère et peut-être revient-il ici à notre
                                                                      pays, c’est-à-dire à notre armée qui sera en Allemagne son
              tour, ce que nous avons subi.
                                                                      instrument, un rôle plus spécial, celui de tracer, au milieu des
               Cependant la Commission des Crimes de Guerre, qui siège
                                                                      fluctuations et des compromis de la politique, la voie droite
              à Londres, vient, après six mois de travail, de mettre au point
                                                                      de la justice et de la réparation et d’être, envers et contre
              la liste de 180 criminels de guerre. Décidément, il ne faut
                                                                      tout, la mémoire inébranlable du monde qui a souffert.
              pas compter sur les commissions des crimes de guerre. A
              moins qu’elles ne consentent à se transporter sur place ; alors,   En vérité, dans tout cela, nous engageons plus que nous-
              nous la mènerions à Vassieux, à Dortan, nous la mènerions   mêmes, la vie de nos descendants pour des générations. Que
              à Oradour, et là, sans doute, le curé de Vassieux ou le res­  sans faillir jamais à l’honneur, des mesures soient prises pour
              capé d’Oradour pourraient-ils leur donner quelques rensei­  réprimer le fléau ! Tant de crimes répandus sur la surface de
              gnements susceptibles d’orienter les recherches. Quant à nous,   la terre appellent une justice, hors de laquelle les hommes
              Français, nous savons que le criminel de guerre, du massacre   d’aujourd’hui se déshonoreraient et sacrifieraient par âvance
              de Senlis, en 1914, au massacre de Saint-Genis, en 1944, porte   les hommes de demain.
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