Page 639 - Merveilles Industrie Tome 4
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LES HUILES. 633
Fig. 339. — Le cachalot.
frottement. On pourrait difficilement se faire une incapables de lancer un harpon avec force et jus
idée du sang-froid que réclament ces premières tesse. L’approche seule de la baleine les glace d’ef
manœuvres ; il faut en même temps une grande ré froi ; leurs bras paralysés laissent tomber l’arme à
solution, une grande promptitude et une grande plat sur le cétacé qui fuit averti par ce simple attou
prudence. Si la première occasion est manquée, chement. Le vrai baleinier ne connaît pas la peur ;
toute chance peut disparaître et le fruit d’un long il brave la mort, mais avec circonspection. Quand
travail est perdu. A voir l’air inquiet de certains of l’animal se relève de la première sonde, il embraque
ficiers, on dirait qu’ils ont peur, tant ils regardent sur la ligne, se rapproche avec défiance, sans pré
partout, veillant à tout. A la direction de la ligne, cipitation, et avec une apparente lenteur. Il sait qu’il
ils savent si la baleine sonde à pic, court sous l’eau doit éviter la queue et les pectorales, que la tête est in
ou remonte à la surface, et manœuvrent en consé vulnérable, qu’une plaie de l’abdomen n’est jamais
quence. C’est ici surtout que l’équipage doit obéir immédiatement mortelle et qu’il lui faut presque
aveuglément ; il ne peut être qu’une machine à toujours se hâter en belle pour atteindre les parties
nager et à scier, il y va du salut de tous ; dans ces vitales. Que de difficultés et que de temps parfois
moments solennels, la peur s’empare decertains ma pour envoyer le premier coup de lance ! Pourtant ce
telots; sitôt que la baleine estamarrée, ils deviennent n’est pas un, mais dix, vingt et plus qu’il faudra
d’une pâleur livide, leur tête se perd, ils ne voient pour déterminer la mort, et encore à la condition
rien, n’ entendent rien, et ne sauraient désormais qu’ils porteront dans des lieux d’élection. Si une
obéir à aucun commandement. Chose étonnante, blessure mortelle n’est pas infligée dans le premier
les vieux matelots sont plus exposés que les jeunes quart d’heure, la baleine revient de son épouvante,
à cette folle terreur. Quand les hommes ne gué reprend ses sens et fuit, entraînant son ennemi
rissent pas promptement de cette impressionnabilité après elle ; alors alternent des sondes prolongées et
maladive, on cesse de les embarquer dans les de rapides courses dans le vent. La pirogue, empor
pirogues où leur présence ne serait que fâcheuse. tée comme une flèche, passe à travers les lames
On voit aussi des harponneurs, jusque-là intré- comme entre deux murailles de vapeur ; en vain
dides, devenir tout à coup, et sans cause connue, deux ou trois embarcations, jetant leurs bosses à
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