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262                   MERVEILLES DE L’INDUSTRIE


                    qui commençaitàla place Romaine et débou­  ces conduits des blocs de pierre immenses, sans que
                    chait dans le Tibre. Sous les empereurs,   l’édifice en soit le moins du monde attaqué.
                                                                « Les gravats des maisons qui tombent de vétusté
                    quand le champ de Mars eut été couvert de
                                                              sont entraînés par une pente générale dans ces ca­
                    maisons, on y construisit aussi de nouveaux   naux ; autant en font les ravages des incendies; sur­
                    égouts se rendant dans les anciens ; mais,   viennent encore les tremblements de terre, qui y
                                                              charrient d’autres monceaux de pierres. Toutes ces
                    avec le temps, ils aboutirent tous au Tibre.
                                                              attaques sont impuissantes, et, depuis sept cents
                      Ces constructions souterraines étaient   ans, les égouts construits par Tarquin l’Ancien de­
                    très-considérables ; Denys d’Halicarnasse   meurent en quelque sorte inexpugnables. »
                    les rangeait au nombre des trois merveilles
                    de Rome ; les deux autres merveilles étaient   Les eaux amenées à Rome avec tant de
                    les aqueducs et les chemins publics.      magnificence, étaient administrées avec un
                      Strabon dit que les cloaques étaient voû­  ordre, un soin et une jurisprudence admi­
                    tés et d’une hauteur telle qu’un chariot   nistrative qui pourraient servir de modèle
                    chargé de foin pouvait y passer sans toucher   aux hommes de nos jours. L’administra­
                    à leurs parois. On employait, pour les cons­  teur ou curateur des eaux, Frontinus, nous
                   truire, des briques, de la chaux et de la   a laissé dans son Commentaire le tableau
                   pouzzolane (espèce de ciment en terre rouge).   complet des sénatus-consultes qui formaient
                    Pline s’étonne de leur solidité, qui résistait   la jurisprudence des Romains sur la con­
                   au poids des édifices et des maisons.      servation et l’administration des aqueducs
                      Agrippa fit entrer dans les cloaques toute   et des eaux Poleni a recueilli les lois ou
                    l’eau des sept aqueducs de Rome qui exis­  constitutions impériales rendues depuis
                   taient de son temps, afin de les nettoyer   Frontinus, jusques et y compris celles de
                   continuellement et d’empêcher l’accumula­  l’empereur Justinien.
                   tion des résidus.                            En voici les principales dispositions, ré­
                      Les Romains faisaient un si grand cas de   sumées par Génieys, dans son Essai sur les
                   leurs cloaques, qu’ils les avaient mis sous   moyens de conduire les eaux (1).
                   la protection d’une divinité : la déesse     Sous la République, le soin des eaux de
                    Cloacine !                                Rome était confié aux censeurs et aux édiles.
                     Ecoutons Pline, vantant et décrivant les   Sous l’empire, les administrateurs des
                   égouts de l’ancienne Rome :                eaux étaient nommés par l’empereur, et
                                                              confirmés par le sénat.
                     « Rome n’a-t-elle pas ses égouls, dit Pline, ou­
                                                                Les administrateurs, ou curateurs des
                   vrage le plus hardi qu’aient entrepris les hommes,
                   et pour lequel il fallut percer des montagnes? Car   eaux, étaient tenus de veiller à ce que les
                   ces égouts, à l’instar de ce qu’on a dit de Thèbes,   fontaines publiques coulassent très-exacte­
                   passent sous la ville comme sous un pont, et ont
                   converti Rome souterraine en un canal navigable.  ment pendant le jour et la nuit pour l’usage
                     «Ce fut pendant son édilité que Marcus Agrippa fit   du peuple.
                   concourir ensemble sept ruisseaux différents, comme   Celui qui désirait jouir de l’eau publique
                   autant de rivières, et dont au surplus la pente roide   devait en obtenir la permission du prince.
                   fait des torrents rapides qui emportent et balayent
                   tout ce qu’ils rencontrent, surtout lorsque, grossis   Le curateur désignait le calice, ou tuyau
                   par les grandes pluies, ils battent à droite et à gau­  de jauge, qui convenait à la quantité accor­
                   che, par dessus et par dessous, ces merveilleux con­  dée, et l’orifice du tuyau de plomb qu’on
                   duits. Quelquefois le Tibre, en débordant, s’efforce
                   d’entrer dans ces conduits et fait refluer l’eau des   y adaptait devait être le même que celui
                   égouts ; mais celle-ci lutte alors contre cet assaut,   du calice jusqu’à 16 mètres de distance.
                   s’efforçant de repousser le fléuve, et, dans tout ce   Aucun particuliernc pouvait tirer del’eau
                   grand choc, cette merveilleuse construction reste
                   inaltérable. Les ravines entraînent et roulent dans   (I) In-4. Paris, 1829, pages 4-C.
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