Page 61 - Les merveilles de l'industrie T1
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LE VERRE ET LE CRISTAL.
Les miroirs d’argent étaient un grand objet étant parvenues à fabriquer facilement des
de luxe chez les Romains des derniers temps miroirs de verre, la Grèce et l’Italie reçurent
de la République. La plaque d’argent poli ces nouveaux miroirs avec enthousiasme, et
était entourée d’une bordure finement cise les miroirs métalliques furent tout aussitôt
lée; le manche était un objet d’art, que l’on relégués parmi les vieilleries qui n’intéres
recouvrait de pierres précieuses et qu’on saient que les amateurs d’antiquités et de
enchâssait d’or. curiosités.
Le luxe des miroirs fut poussé si loin que On ne saurait fixer exactement la date du
Sénèque le reproche avec aigreur aux patri premier emploi, chez les Romains, des mi
ciennes de son temps. Une esclave (specilla- roirs de verre doublé d’une feuille de métal ;
teria) était particulièrement affectée à la mais le fait lui-même ne saurait être mis en
conservation de ce meuble précieux. On en doute (1). C’est probablement sous les pre
fermait le miroir dans un étui de bois d’assa miers empereurs que commença l’importa
fœtida (asser) qui écartait les insectes par son tion à Rome des miroirs de verre doublé d’une
odeuret les maléfices par ses vertus magiques. lame d’étain ou d’argent.
Pour entretenir le brillant poli du métal, une L’art du verrier et du miroitier ayant fait de
éponge saupoudrée de pierre ponce en pou grands progrès en Italie, les miroirs de verre
dre était attachée par un cordon à la bordure furent fabriqués avec une grande perfection
du miroir. à Brindes, à Rome, et sans doute dans beau
Pendant la toilette de la dame romaine, coup d’autres villes de la péninsule italienne.
une esclave accroupie tenait devant elle le
miroir, ovale ou carré. La destruction de l’empire romain, son
Bientôt, le luxe augmentant toujours, les envahissement par les Barbares et son dé
miroirs furent fabriqués en or. Sous les empe membrement final, eurent pour résultat de
reurs, les miroirs d’argent étaient devenus si détruire l’industrie du verre, et celle des
communs qu’on les abandonnait aux esclaves. miroirs, dans toute l’Italie. Un seul coin de
L’or seul était digne de refléter les traits des ce pays, comme caché au fond de ses lagu
fières patriciennes ou des opulentes courti nes, put conserver le dépôt de l’industrie
sanes ! verrière. C’est, en effet, à Venise que nous
On en était à celte dernière limite du luxe, trouvons établie, à partir du xe siècle, la fabri
lorsqu’une invention nouvelle arriva des cation du verre et celle des miroirs, ainsi que
verreries de Sidon. Les miroirs composés nous l’avons dit dans l’histoire générale du
d’une lame de verre appliquée sur une feuille verre.
de métal, avaient été, avons-nous dit, connus Cependant la fabrication des glaces ne prit
des Egyptiens, des Phéniciens et des Grecs. d’importance à Venise que dans la première
Mais sans doute leur fabrication avait long moitié du xvi" siècle, grâce aux procédés
temps offert de grandes difficultés ; de sorte qu’avaient empruntés à l’Allemagne, deux
que leur emploi n’avait pu devenir général. fabricants vénitiens, Andrea et Domenico
On finit, au temps des empereurs romains, d’Anzolo.
par trouver, dans les verreries de Sidon, de Les glaces de Venise, dont la réputation
bons procédés pour fabriquer de larges sur devint bientôt universelle, étaient de petites
faces de verre. Nous présumons que l'on par dimensions. Très-limpides, très-blanches,
vint à les fabriquer par le coulage du verre elles étaient douées d une pureté et d’un éclat
substitué au procédé du simple soufflage.
Quoi qu’il en soit, les verreries de Sidon (1) Voir le Cabinet de l’amateur et de l'antiquaire, t. II,
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