Page 66 - Les merveilles de l'industrie T1
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60                   MERVEILLES DE L’INDUSTRIE.


                        été inventés par nos gainiers, du temps de   s’approprier cette industrie. L’ambassadeur
                        Louis XI (1). Dans toutes les provinces de   de France à Venise réussit, à force d’adresse
                        France, il existait des corporations de mi­  et d’argent, à attirer à Paris dix-huit ouvriers
                        roitiers.                                 vénitiens. On les installa dans le faubourg
                          Sans doute les artistes vénitiens l’em­  Saint-Antoine, et Colbert accorda un privi­
                        portaient sur les nôtres, sous le rapport   lège, entouré de toutes sortes de faveurs, à la
                        du goût, mais ils n’avaient absolument rien   compagnie qui se présenta pour inaugurer en
                        innové dans la fabrication du verre. Les pro­  France la « fabrication des glaces de Venise. »
                        cédés que l’on employait à Venise étaient les   La Manufacture de glaces de miroirs par
                        mêmes qu’avaient pratiqués les anciens. Les   des ouvriers de Venise eut pour premier direc-
                        verriers de Murano soufflaient des globes de  1 teur Nicolas du Noyer, receveur général à
                        verre pour en fabriquer des carreaux plats,  I Orléans.
                        en se servant de la même canne et des mêmes   Nicolas du Noyer eut bientôt à se plaindre
                        outils que les verriers de l’ancienne Égypte et   de ses ouvriers, qui voulaient retourner à Ve­
                        de la Phénicie avaient employés pour déve­  nise. Trois furent arrêtés sur la route de 1’1-
                        lopper leurs vases. On ne travaillait pas au­ ' talie. Nicolas du Noyer parle, dans un mé­
                        trement à Venise que dans l’ancienne Thèbes,   moire qui nous a été conservé, des embarras
                        à Héliopolis, à Sidon. Les fourneaux et les   et des difficultés que cause à la manufacture
                        creusets des verriers de Murano avaient été   du faubourg Saint-Antoine la capricieuse
                        exécutés d’après la description laissée par   conduite des ouvriers italiens. Il ajoute, tou­
                        Agrippa, et le verre se fabriquait d’après les   tefois, que l’Etat n’a pas tenu les promesses
                        mêmes recettes qu’avait transmises la tradi­  qu’il avait faites à ces ouvriers, et que ceux-ci
                        tion des verriers phéniciens. Pendant cinq à   « aimeraient mieux recevoir un peu qu’es­
                        six siècles qu’elle travailla le verre, Venise   pérer beaucoup.»
                        ne sut rien inventer. Le pas de géant que   A cette époque, il existait à Tour-la-Ville
                        la fabrication des glaces fit dans les der­  une importante verrerie. Au xvii" siècle,
                        nières années du xvne siècle, s’accomplit par  : les verreries s’établissaient de préférence
                        le génie et la patience d’un gentilhomme   sur les bords de la mer, à cause de la facilité
                        verrier de la Normandie.                 ; que l’on avait à se procurer de la soude en
                          C’est ce dernier progrès qu’il nous reste   brûlant les plantes marines. Aussi les verre­
                        à raconter avant d’arriver à la description de   ries étaient-elles nombreuses en Normandie
                        la fabrication des glaces par les procédés   et en Picardie. Celle de Tour-la-Ville près de
                        actuels.                                  Cherbourg, était une des plus importantes.
                          Henri II, Henri IV et Louis XIII, avaient   Elle était dirigée, avant l’arrivée en France
                        eu l’intention de ravir à la cité vénitienne le   des ouvriers vénitiens, par Richard Lucas,
                        monopole qui faisait une partie de sa richesse.   sieur de Nehou, fort habile verrier qui, après
                        Mais ce ne fut qu’en 1660, sous Louis XIV, et  ' de laborieux essais, était parvenu à fabriquer
                        grâce à l’habileté de Colbert, que la France put I du verre blanc et des glaces de miroirs. Il
                                                                  avait fourni, en 1656, les «verres blancs du
                          (1) On trouve dans le Compte des dépenses de la Cour
                        en 1469, qu’il fut payé à Olivier le Maulvais, valet de  , Val de-Gràce » (1).
                        chambre et barbier de Louis XI, 20 livres 12 sous 16 de­
                        niers « pour ung estuy garni de razouers d’argent doré,   Sur les plaintes de Nicolas du Noyer, Col­
                        de fin or, sizeaux, peignes et mirouers. » Vers le même   bert engagea la Compagnie royale du f
                        temps, le duc d’Orléans fit payer à Richard de Giez « unq
                        estuy de cuir doré pendant à un long lez de soie garni
                        d’un mirouer » (Archives de M. de Joursanvault, l" partie,   (1) La Manufacture de glaces de Saint-Gobain, par
                        p. 118).                                 | Augustin Cochin, p. 29.
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