Page 64 - Les merveilles de l'industrie T1
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                         pelé il comporta, la répartition, parce qu’il empêchait   « séjour et son retour, 80 sequins; à celui qui doit
                         l’empiétement entre quatre classes distinctes d’éta­  « aller à Vienne, b0.
                         blissements : verres et cristaux, — vitres et glaces,   « On a promis à l’un et à l’autre 100 sequins, une
                         — conteries et émaux, — perles et margarites. La   << fois la chose faite, ail’ opéra fatta, et à chacun fut
                         haute surveillance appartenait au conseil des Dix.  « donnée la chose propre à enlever du monde, to-
                          « Le plus ancien acte connu est un arrêt du Grand   « gliere dal mundo, lesdits hommes. »
                         Gonseil, en date du 17 octobre 1283, qui prohibe   « On voit que l’ambassadeur de Venise n’exagérait
                         l’exportation de toutes les matières premières ; il est   pas lorsqu’il écrivait à Colbert qu’il courait risque
                         suivi d’un autre arrêt, du 8 juin 1295, qui interdit   de se faire jeter à la mer s’il débauchait des ouvriers.
                         aux ouvriers, qui commencent déjà à émigrer à Bo­  11 y réussit pourtant ; mais ce succès ne fut peut-être
                         logne, à Mantoue, de sortir de la ville sous peine   pas étranger à son prompt départ de Venise, à la fin
                         d’amende, de bannissement, de mort.       de janvier 1665 (I). »
                           « C’est par une loi du 8 novembre 1291 que toute
                         l’industrie verrière fut reléguée dans l’ile de Murano,   Les miroirs de Venise se payaient littéra­
                         de peur d’incendie et d’insalubrité, mais sans doute
                         aussi pour mieux emprisonner les ouvriers et les   lement leur poids d’or. Cependant, quand on
                         procédés secrets.                         considère aujourd’hui ces objets si admirés
                          « L’art de souffler, d’étamer, de biseauter, de ci­  autrefois, on ne peut se défendre de sourire.
                         seler, de graver, de colorer les miroirs (specchi) pa­
                         raît remonter au xive siècle. M. Daru croit que   Les miroirs vénitiens s’obtenaient par le
                         les Vénitiens le reçurent de l’Orient. M. Cecchetti   soufflage, c’est-à-dire par le procédé qui
                         pense qu’il leur est venu d’Allemagne. Il cite un   sert à faire les vitres. Mais on ne pouvait,
                         décret fort curieux, du 5 février 1317, qui autorise
                         trois Vénitiens à s’associer avec un maître allemand,   même à Venise, obtenir par le soufflage que
                         qui savait fabriquer du verre pour miroirs, cum quo-   de très-petites lames de verre ; de sorte que
                         dam magistro de Allemania, qui vitrum a speculis la-   les miroirs étaient d’une dimension qui nous
                         borare sciebat.                           paraît aujourd’hui ridicule. Ils n’étaient pas
                           « Cet art n’atteignit sa perfection qu’au xvi° siècle,
                                                                   plus grands qu’un trumeau de nos jours, et
                         à dater des privilèges accordés, en 1498 à Vin-
                         cenzo Iledor, en 1507 à Danzolo del Gallo. Pen­  le verre était souvent plein de bulles et de
                         dant les deux siècles suivants, les miroirs et les ou­  soufflures, de stries et d’imperfections. Les
                         vrages en verre de Venise acquièrent une-répu talion
                         et un débit croissants, et les noms de Berroviero,   miroitiers de Murano avaient l’art de com­
                         Briati, Bertolini, Motta, sont cités comme des noms   biner les plus petits morceaux, d’en faire des
                         d’artistes. Les mandarins chinois portent des boutons   mosaïques, qui formaient le plus gracieux
                         de cristal de Venise ; ses perles servent de monnaies,   ensemble. Le cadre tout en verroteries et
                         conteries, sur les bords de la mer Rouge ; on troque
                         ses verroteries contre des esclaves sur les côtes de   pqj^iiÜ  ec une harmonie incomparable, ré­
                         Guinée; les jeunes filles d’Ispahan apportent un mi­  le   gulièrement cet assemblage gra-
                         roir en dot, et Catherine de Médicis achète à grand   ciev   biseau, la gravure de la glace et
                         prix le miroir qui figure au Musée des souverains.
                           « Le résultat d’une telle prospérité fut de rendre   l’en   e de verre ciselé, caractérisent les
                         les règlements vénitiens plus sévères, et en quelque   glaci  iennes de Venise.
                         sorte furieux. En 1721, toute importation de verre   To  était le fruit d’une main-d’œuvre
                         étranger est interdite comme chose scandaleuse et
                         damnable, scandalosa e dannatissima, et il existe dans   inemment artistique. Mais, nous
                         les papiers des inquisiteurs d’État une pièce ainsi   le répé   ^ous le rapport des dimensions,
                         conçue, datée du 3 août 1754. 11 n’y a guère plus de   les mir  nitiens sont de véritables nains
                         cent ans :
                                                                   à côté d      uits ordinaires des fabriques
                          « Pris la résolution d’enlever du monde, di toyliere
                         « d'd mundo, Pietro de Vetor, fugitif, qui est à   moderne   s des miroirs de Venise les
                         « Vienne, et Antonio Vistosi, qui est à Florence. En   plus adnii   es plus authentiques, mettez
                         « conséquence, ordre est donné à Missier de trouver   quelques-»   chefs-d’œuvre de la miroi-
                         « deux hommes propres à ce dessein, atti a taie ef-   te rie modei   ous serez force de convenir
                         « fetto, et on lui a remis deux doses de poison.
                          « 7 du même mois. Étant trouvés par Missier les   que les pre  vénitiens ne sont plus que
                         « deux hommes dont il s’agit, à celui qui doit aller
                         « à Florence furent donnés pour son voyage, son   ( l ) La Manu fa-  laces de Saint-Gobain, p. 15-18.
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