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58 MERVEILLES DE L’INDUSTRIE.
pelé il comporta, la répartition, parce qu’il empêchait « séjour et son retour, 80 sequins; à celui qui doit
l’empiétement entre quatre classes distinctes d’éta « aller à Vienne, b0.
blissements : verres et cristaux, — vitres et glaces, « On a promis à l’un et à l’autre 100 sequins, une
— conteries et émaux, — perles et margarites. La << fois la chose faite, ail’ opéra fatta, et à chacun fut
haute surveillance appartenait au conseil des Dix. « donnée la chose propre à enlever du monde, to-
« Le plus ancien acte connu est un arrêt du Grand « gliere dal mundo, lesdits hommes. »
Gonseil, en date du 17 octobre 1283, qui prohibe « On voit que l’ambassadeur de Venise n’exagérait
l’exportation de toutes les matières premières ; il est pas lorsqu’il écrivait à Colbert qu’il courait risque
suivi d’un autre arrêt, du 8 juin 1295, qui interdit de se faire jeter à la mer s’il débauchait des ouvriers.
aux ouvriers, qui commencent déjà à émigrer à Bo 11 y réussit pourtant ; mais ce succès ne fut peut-être
logne, à Mantoue, de sortir de la ville sous peine pas étranger à son prompt départ de Venise, à la fin
d’amende, de bannissement, de mort. de janvier 1665 (I). »
« C’est par une loi du 8 novembre 1291 que toute
l’industrie verrière fut reléguée dans l’ile de Murano, Les miroirs de Venise se payaient littéra
de peur d’incendie et d’insalubrité, mais sans doute
aussi pour mieux emprisonner les ouvriers et les lement leur poids d’or. Cependant, quand on
procédés secrets. considère aujourd’hui ces objets si admirés
« L’art de souffler, d’étamer, de biseauter, de ci autrefois, on ne peut se défendre de sourire.
seler, de graver, de colorer les miroirs (specchi) pa
raît remonter au xive siècle. M. Daru croit que Les miroirs vénitiens s’obtenaient par le
les Vénitiens le reçurent de l’Orient. M. Cecchetti soufflage, c’est-à-dire par le procédé qui
pense qu’il leur est venu d’Allemagne. Il cite un sert à faire les vitres. Mais on ne pouvait,
décret fort curieux, du 5 février 1317, qui autorise
trois Vénitiens à s’associer avec un maître allemand, même à Venise, obtenir par le soufflage que
qui savait fabriquer du verre pour miroirs, cum quo- de très-petites lames de verre ; de sorte que
dam magistro de Allemania, qui vitrum a speculis la- les miroirs étaient d’une dimension qui nous
borare sciebat. paraît aujourd’hui ridicule. Ils n’étaient pas
« Cet art n’atteignit sa perfection qu’au xvi° siècle,
plus grands qu’un trumeau de nos jours, et
à dater des privilèges accordés, en 1498 à Vin-
cenzo Iledor, en 1507 à Danzolo del Gallo. Pen le verre était souvent plein de bulles et de
dant les deux siècles suivants, les miroirs et les ou soufflures, de stries et d’imperfections. Les
vrages en verre de Venise acquièrent une-répu talion
et un débit croissants, et les noms de Berroviero, miroitiers de Murano avaient l’art de com
Briati, Bertolini, Motta, sont cités comme des noms biner les plus petits morceaux, d’en faire des
d’artistes. Les mandarins chinois portent des boutons mosaïques, qui formaient le plus gracieux
de cristal de Venise ; ses perles servent de monnaies, ensemble. Le cadre tout en verroteries et
conteries, sur les bords de la mer Rouge ; on troque
ses verroteries contre des esclaves sur les côtes de pqj^iiÜ ec une harmonie incomparable, ré
Guinée; les jeunes filles d’Ispahan apportent un mi le gulièrement cet assemblage gra-
roir en dot, et Catherine de Médicis achète à grand ciev biseau, la gravure de la glace et
prix le miroir qui figure au Musée des souverains.
« Le résultat d’une telle prospérité fut de rendre l’en e de verre ciselé, caractérisent les
les règlements vénitiens plus sévères, et en quelque glaci iennes de Venise.
sorte furieux. En 1721, toute importation de verre To était le fruit d’une main-d’œuvre
étranger est interdite comme chose scandaleuse et
damnable, scandalosa e dannatissima, et il existe dans inemment artistique. Mais, nous
les papiers des inquisiteurs d’État une pièce ainsi le répé ^ous le rapport des dimensions,
conçue, datée du 3 août 1754. 11 n’y a guère plus de les mir nitiens sont de véritables nains
cent ans :
à côté d uits ordinaires des fabriques
« Pris la résolution d’enlever du monde, di toyliere
« d'd mundo, Pietro de Vetor, fugitif, qui est à moderne s des miroirs de Venise les
« Vienne, et Antonio Vistosi, qui est à Florence. En plus adnii es plus authentiques, mettez
« conséquence, ordre est donné à Missier de trouver quelques-» chefs-d’œuvre de la miroi-
« deux hommes propres à ce dessein, atti a taie ef- te rie modei ous serez force de convenir
« fetto, et on lui a remis deux doses de poison.
« 7 du même mois. Étant trouvés par Missier les que les pre vénitiens ne sont plus que
« deux hommes dont il s’agit, à celui qui doit aller
« à Florence furent donnés pour son voyage, son ( l ) La Manu fa- laces de Saint-Gobain, p. 15-18.