Page 315 - Les merveilles de l'industrie T1
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                          Lascaris parti, le délai expiré, et sans   et l’Electeur de Saxe, enchanté des épreuves
                        doute même un peu abrégé par l’impatience   faites en sa présence, s’empressa de Le nom­
                        du jeune élève, celui-ci procéda à 1 essai de   mer baron.                     '
                       sa poudre philosophale. Le résultat fut tel   Une fois parvenu aux honneurs, Bôtticher
                       que Lascaris l’avait promis. Rôtticher an­  oublia tout ; il ne songea plus à ses études
                        nonça alors à l’apothicaire Zorn sa résolu­  médicales et ne fut occupé que de ses plai­
                        tion de quitter la pharmacie, pour étudier la   sirs. D’après le train de vie qu’il mena, pen­
                        médecine à Halle.                         dant deux ans, dans la capitale de la Saxe,
                          Le même jour, en effet, il prit congé de   on serait même tenté de croire qu’il avait
                        son patron.                               perdu la tête. Il se fit bâtir une maison su­
                          Bôtticher ayant quitté l’officine de maître   perbe, où il donnait de splendides repas.
                        Zorn, fit beaucoup de bruit à Berlin par ses   Ces repas étaient très-fréquentés, parce qu’il
                        prétendues transmutations. La poudre phi­  ne manquait jamais de mettre une pièce,
                        losophale que Lascaris lui avait donnée (et   d’or sous la serviette de chaque convive.
                        qui n’était autre chose qu’un composé d’or   Toutes ces prodigalités faisaient singuliè­
                        qui, se détruisant par le feu, laissait appa­  rement baisser la provision de poudre phi­
                        raître l’or métallique), lui servait à accom­  losophale que Lascaris lui avait donnée. Il
                        plir les prétendues transformations du mer­  s’était fort gratuitement mis en tête qu’il
                        cure en or qui ébahissaient les crédules   pourrait, grâce aux talents que chacun lui
                        Berlinois.                                reconnaissait, renouveler son talisman chi­
                          Les bruits de la ville étant parvenus jus­  mique sans recourir à Lascaris. Égaré par
                        qu’à la cour, le roi Frédéric-Guillaume I”   cette illusion, il continuait à en prodiguer
                        voulut assister à une transmutation. En   les restes sans mesure. Il finit par l’épuiser
                        conséquence, il ordonna de s’assurer de la  jusqu’au dernier grain, essaya d’en composer
                        personne de l’alchimiste. Mais Bôtticher,   d’autre et ne put y réussir.
                        averti à temps, sortit de Berlin pendant    Sa source d’or une fois tarie, les dépenses
                        la nuit, et s’achemina à pied vers la ville   avaient cessé tout d’un coup chez notre alchi­
                        de Wittemberg.                            miste. Les courtisans de sa fortune, ses pa­
                          Bôtticher avait un oncle à Wittemberg ;   rasites ordinaires et extraordinaires, com­
                        c’était le professeur Georges Gaspard Kirch-   mencèrent naturellement par lui tourner le
                        maier, que l’on cite parmi les écrivains al­  dos ; ensuite, leur ressentiment s’étant accru
                        chimistes ; il se réfugia chez lui. Mais le   avec le souvenir des jouissances qu’ils avaient
                        roi de Prusse voulait à toute force posséder   perdues, ils le dénoncèrent comme un es­
                        ce trésor vivant. 11 le fit donc réclamer à la   pion. Cette calomnie n’ayant pu trouver
                       ville de Wittemberg, comme sujet prussien, j  créance, on en chercha d’autres. Ses domes­
                       car on croyait Bôtticher né à Magdebourg.   tiques, mécontents parce qu’on ne les payait
                        De son côté, l’Electeur de Saxe, Auguste II, |  pas, se liguèrent avec ses ennemis, et répan­
                        roi de Pologne, le réclamait également    dirent le bruit qu’il s’apprêtait à prendre la
                       comme son sujet.                           fuite. Dès ce moment, et sur l’ordre de
                          C’est au dernier de ces deux monarques   l’Électeur, sa maison fut entourée de soldats
                       que Bôtticher se rendit, mais sans doute   et ses appartements occupés par des gardes,
                       dans un tout autre intérêt que celui de faire   qui le retinrent prisonnier dans son hôtel.
                       trancher entre les deux cours la question de   Bôtticher comprit alors, un peu tard sans
                       sa nationalité.                            doute, mais enfin il comprit que les rois
                         A Dresde, il fut parfaitement accueilli,  ne donnent pas gratis des honneurs et te.
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