Page 308 - Les merveilles de l'industrie T1
P. 308
POTERIES, FAÏENCES ET PORCELAINES. 303
« Les Japonais conservent la récolte du thé com célèbrent le souvenir de ce prodige par une fête...
mun dans de grands vases de terre à orifice étroit ; « Quant aux vases disparus, on les recherche à
quant à la qualité supérieure destinée à l’empereur marée basse dans le fond de la mer, sur les rocs
et aux princes, ils la renferment dans des vases auxquels ils se sont attachés; on les retire avec pré
murrhins ou de porcelaine, et surtout, s’ils peuvent caution pour ne pas les briser, couverts d’une couche
s’en procurer, dans ces petits vases précieux et re de coquillages qui les déforme et que les ouvriers
nommés par leur antiquité, qu’ils appellent maats- enlèvent ensuite, en en laissant une partie qui at
uba, pots véritables. On suppose que non-seulement teste leur origine. Ces vases sont transparents, de la
ces vaisseaux conservent, mais qu’ils améliorent la plus rare ténuité, et d’une couleur blanche teintée
qualité du thé, lequel augmente de valeur en raison de vert. Ils ont, pour la plupart, la forme d’une
du temps qu’il est demeurée nfermé. Le ficki-tsace, capsule ou d’un petit tonneau avec un col étroit et
même réduit en poussière, y garde son arôme pen court comme s’ils eussent été, dès l’origine, destinés
dant quelques mois; éventé, il y répand toute sa sa à contenir du thé. Ils sont apportés au Japon, à de
veur. Aussiles grands personnages recherchentàtout très-rares intervalles, par des marchands de 'la pro
prix cette sorte de vases, qui tiennent le premier vince de Foklsju qui les achètent des plongeurs. Les
rang parmi les ustensiles coûteux que le luxe a ima plus communs se vendent vingt taëls ; la seconde
ginés pour l'usage du thé. Leur célébrité m’engage sorte, cent ou deux cents taëls: quant à ceux qui at
à rapporter ici une légende qui n’a encore été consi teignent cette valeur, personne n’oserait les acqué
gnée nulle part. Les maals-uba ont été faits d’une rir; ils sont destinés à l’empereur. Celui-ci en a
terre de la plus grande finesse à Mauri-gasima, reçu, dit-on, de ses ancêtres et de ses prédécesseurs
c’est-à-dire l’île Mauri,laquelle,à ce que l’on rapporte, une collection d’un prix inestimable qui est conser
a été entièrement détruite et submergée par les vée dans son trésor. »
dieux, à cause des mœurs dissolues de ses habitants.
Aujourd’hui, il n’en apparaît d’autres vestiges que Il est encore d’autres porcelaines japo
quelques rochers visibles à marée basse. Cette île naises que nous devons signaler : ce sont des
était près de Teyovaan ou Formose, et sa place se
désigne dans les cartes hydrographiques par des as porcelaines orientales à emblèmes et qui
térisques et des points qui indiquent un bas-fond portent des inscriptions d’origine euro
semé de sables et d’écueils. Voici ce qu’en racontent péenne. Lorsque les porcelaines de l’Orient
les Chinois : Mauri-ga-sima était, au temps des an
ciens, une terre fertile où l’on trouvait, entre autres commencèrent à être connues et appréciées,
richesses, une argile admirable pour la fabrication et que le goût des collections eut pénétré
des vases murrhins, que l’on appelle aujourd’hui : dans tous les pays, on songea à avoir des
vases de porcelaine. De là, pour ses habitants, des
trésors immenses et une dissolution sans bornes. produits céramiques avec des armoiries ou
Leurs vices et leur mépris de la religion irritèrent des inscriptions qui fussent propres aux
les dieux à tel point, qu’ils résolurent, par un décret collectionneurs. La Compagnie hollandaise
irrévocable, de submerger Mauri-ga-sima. Un songe des Indes se chargea de transmettre les
envoyé par le ciel révéla cette terrible sentence au
chef de l’île nommé Peiruun, homme religieux et commandes, tant aux fabriques chinoises
d’une vie sans tache. Les dieux l’avertissaient de qu’à celles du Japon. On fabriqua des ser
s’enfuir sur des embarcations dès qu’il verrait le vi vices de table sur lesquels figurait, par
sage de deux idoles placées à l’entrée du temple se
exemple, un vaisseau, accompagné d’une lé
couvrir de rougeur. Le roi publia immédiatement le
danger qui menaçait l’île et le désastre dont elle de gende indiquant que tel capitaine de tel na
vait être frappée, mais il ne trouva dans ses sujets vire a fait faire ce plat au Japon. Au musée
que dérision et mépris pour ce qu’on appelait sa japonais de Dresde figurent cinq tasses sur
crédulité. Feu de temps après, un bouffon, se riant
des avis de Peiruun, s’approcha des deux idoles et, lesquelles le peintre chinois a reproduit
sans que personne s’en aperçût, leur barbouilla la Louis XIV à côté de la reine, entouré de qua
face de couleur rouge. Averti de ce changement su
tre figures agenouillées qui doivent repré
bit, qu’il attribua à un prodige et non à un sacri
lège, le roi prit la fuite avec les siens, et se dirigea senter des Français, mais qui ont une tour
à force de rames vers Foklsju, province de la Chine nure toute japonaise. On y lit : L’empire de la
méridionale. Après son départ, le bouffon, ses com vertu est étably jusqu’au bout de l'univers(1).
plices et tous les incrédules que cette précipitation
n’épouvanta pas, furent engloutis avec l’île, ses po (I) Demmin, Guide de l’amateur de porcelaines et de
tiers et ses magnifiques murrhins. Les Chinois du sud faïences, t. II.