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250 MERVEILLES DE L’INDUSTRIE.
En 1539, Palissy, estimant qu’il avait Pourun homme énergique comme Palissy,
assez voyagé pour son instruction, revint la détermination qu’il avait prise de chercher
s’établir à Saintes. Il s’y maria, et y vécut à composer desémauxpour décorer lesfaïences
pendant quelque temps du produit de ses était irrévocable. Pendant son séjour à Sain
ouvrages de verrier et de quelques travaux ! tes, il avait peint quelques vitraux monochro
d’arpentage. mes eten grisailles. Il abandonna subitement
Il se sentit tout à coup la vocation d’artiste et complètement ce genre de travaux,pour se
potier. Voici comment il raconte lui-même vouer à la recherche de la composition de
cet incident, qui eut une influence décisive l’émail. Il espérait trouver dans ce travail le
sur le reste de sa vie. moyen de faire vivre sa femme et ses enfants.
Pour l’artiste novice, c’était tout un art
« Il me fut monstre une coupe de terre tournée j nouveau à étudier. Il ne savait même pas de
et émaillée d’une telle beauté que des lors j’entray ' quelles substances les émaux étaient com
en dispute avec ma propre pensée, en me remémo
rant plusieurs propos qu’aucuns m’avoient tenus en posés. Il se mit donc à broyer des matières,
se mocquant de moy lorsque je peindois les images. à construire des fourneaux, à cuire des tes
Or, voyant que la vitrerie n’avoit pas grande re-
sons de poterie. Mais ces essais ne lui don
queste, je vins à penser que si j’avois trouvé l’in
vention de faire des esmaux je pourrois faire des nèrent aucun résultat utile.
vaisseaux de terre et autre chose de belle ordon Il ne fut pas plus heureux dans les tenta
nance, parce que Dieu m’avoit donné d’entendre tives qu’il fit pour cuire ses essais dans les
quelque chose de la pourtraiture ; et des lors sans fours des potiers de la Chapelle-des-Ports.
avoir esgard que je n’avois nulle connaissance des
terres argileuses, je me mis à chercher les esmaux, 11 eut même alors un moment de défaillance,
comme un homme qui taste en tenebres (1). » et il fut forcé de renoncer pour quelque
temps à la recherche du secret des émaux.
On s’est préoccupé de savoir quelle était En 1543, les gabelles venaient d’être éta
la coupe de faïence émaillée qui avait mis blies en Saintonge, et les commissaires
Palissy en dispute avec sa pensée. Voici ce chargèrent Palissy « de figurer dans les isles
que nous trouvons à ce sujet dans le Traité j et pays circonvoisins tous les Marez salans
des arts céramiques de Brongniart : dudit pays. » Ce travail de géomètre arpen
teur lui ayant fait gagner quelque argent,
« On croit généralement que cette coupe était il reprit ses recherches avec une ardeur
une pièce de la belle faïence d’Italie faite en Tos
cane, et répandue dans toute l’Europe sous le nom nouvelle. 11 fit cuire ses émaux dans le four
de Majoh’ca. M. Riocreux, conservateur du Musée d’un verrier, et il crut un moment avoir at
céramique de Sèvres, pense, d’après les couleurs tran teint le but qu’il poursuivait.
chées des émaux d’Allemagne, l’absence de peintu
res nuancées sur ces émaux, la présence fréquente
de figures et d’ornements en relief colorés, carac « Dieu voulut, dit-il, qu’ainsi que je commençois
tère qu’on retrouve en général sur les faïences de à perdre courage, il se trouva une desdites espreuves
Palissy, que la coupe qui fut admirée par cet homme, qui fut fondue dedans, quatre heures après avoir esté
qui n’était pas encore potier, appartenait plutôt à la mise au fourneau, laquelle espreuve se trouva blan
fabrication allemande du commencement du xvie siè che et polie, de sorte qu’elle me causa une joye telle
cle, qu’à la fabrication italienne. L’examen que j’ai que je pensois estre devenu nouvelle créature (1). »
fait de nouveau des pièces de comparaison qui se
trouvent dans le Musée de Sèvres, me porte à ad
mettre cette opinion. » Ce commencement de succès engagea Pa
lissy à construire pour lui-même un four
1) De l’art de terre, de son utilité, des esmaux et du semblable à celui des verriers. Comme ses
feu, petit traité qui fait partie du Discours admirable de
la nature des eaux et fontaines, tant naturelles qu’artifi
cielles. In-1?, Paris, 1586, page 274. (l)Art de terre {Discours admirable}, page 278.