Page 251 - Les merveilles de l'industrie T1
P. 251

POTERIES, FAÏENCES ET PORCELAINES.                             247
                     246                   MERVEILLES DE L’INDUSTRIE.

                                                                                                                      est grande. Il est vrai que le style de Ra­  plats destinés à contenir des fruits. Leurs
                       Nous donnerons également (fig. 194) un   recoglie (qui sème la vertu récolte la répu­
                                                                                                                      phaël eut une grande influence sur les pein­  bords étaient ornés de fruits en relief, d’un
                     échantillon de la demi-majohque, dont les   tation). D’autres faisaient écrire modeste­
                                                                                                                      tures qui ornaient les faïences; il est vrai que  jaune métallique, se détachant sur un fond
                     dessins formaient ordinairement une espèce   ment sur leurs vases émaillés offerts en pré­
                                                                                                                      le duc Guidobaldo donnait à exécuter aux   blanc, et sur lequel jouaient quelques parties
                     d’ornementation mauresque, ou des armes   sent, s'el donno è picolo e di poco valore,
                                                                                                                      peintres des fabriques qu’il avait établies à   rouge-rubis. Le milieu de ces plats était dé­
                     de famille. Les pièces les plus riches sont   basta la fede, el povero se vedo (si le don est
                     décorées d’effigies de saints, de têtes de   petit et de peu de valeur, il y a l'intention       Pesaro, des dessins de Raphaël et de ses élè­  coré de reliefs représentant des armes hé­
                                                                                                                      ves, mais il faut savoir que parmi les peintres   raldiques.
                     déesses tirées de la mythologie, de portraits   et la pauvreté disparaît).
                                                                                                                      de faïence de Pesaro, se trouvaient deux ar­  L’introduction de la véritable majolique
                     des princes contemporains, etc. Des ins­    En 1509, le duc d’Urbin, Guidobaldo II,
                                                                                                                      tistes qui portaient le nom de Raphaël. C’é­  à Pesaro, celle qui, par erreur, comme nous
                     criptions expliquent ou commentent les    accordait un brevet de propriété à Jacques
                                                                                                                      taient Raphaël Ciarla et Raphaël del Colle.   l'avons dit, fut nommée porcelaine de Pesaro,
                     sujets.                                   Lanfranio, de Pesaro, pour l’application de
                                                                                                                      Voilà ce qui a fait attribuer faussement au   date de 1500.
                                                               l’or sur la faïence italienne. 11 est présuma­
                                                                                                                      grand peintre d’Urbin les belles poteries    Pendant plus d’un demi-siècle, l’art céra­
                                                               ble, dit M. Brongniart, que ce brevet s’ap­
                                                                                                                      signées Raphaël.                          mique continua de faire dans cette ville des
                                                               pliquait au lustre mince et d’un jaune doré,
                                                                                                                        La faïence de Pesaro acquit promptement   progrès remarquables. Cependant les artistes
                                                               qui enrichit de son éclat métallique les cou­
                                                                                                                      une renommée universelle. L’usage des pré­  de Pesaro lui furent enlevés par des villes
                                                               leurs brillantes qu’il sert à recouvrir. Il est
                                                              ! également probable que c’est par l’applica­           sents entre souverains s’était conservé de­  rivales ; de sorte que l’on fabriqua bientôt des
                                                                                                                      puis que Haroun-al Ralchild, le grand ca­  majoliques à Urbin, à Rimini, à Pise, à
                                                               tion de ce vernis sur un fond rouge ou
                                                                                                                      life musulman, avait envoyé à Charlemagne   Naples, à Venise, etc.
                                                               jaune, que Maestro Giorgio (Georges An-
                                                                                                                      une belle horloge à sonnerie. Le duc Gui-
                                                               dreoli) donnait à ses ornements en 1511, et
                                                                                                                      ■dobaldo faisait exécuter à Pesaro de magni­  Nous en resterons là pour les monuments
                                                               par conséquent après la découverte de Lan-
                                                                                                                      fiques services de faïence, qu’il donnait en   de la renaissance italienne dans l’art de la
                                                               franc, un éclat de rubis ou d’or dont le se-
                                                                                                                      présent aux souverains et aux princes émi­  céramique.
                                                              ! cret fut perdu depuis.
                                                                                                                      nents de l’Europe. Tel est le service de table   L’influence de Lucca délia Robbia et des
                                                                 Pendant longtemps les pièces, les vases,
                                                                                                                      qu’il fit composer pour l’empereur Charles-   artistes de sa famille s’était fait sentir, non-
                                                              । les figurines fabriquées à Pesaro furent fort
                                                                                                                      Quint, dont les ornements étaient dus aux   seulement dans la péninsule italienne, mais
                                                               galantes. On cite par exemple le vase de To-
                                                                                                                      frères Flaminio, à Orazzio Fontana, à Tad-   dans toute l’Europe. Les majoliques étaient
                                                               renzio, fabriqué en 1550. (Ce Torenzio était
                                                                                                                      deo Zuccaro et à Batista Franco. En 1478,   recherchées partout. Les souverains, les
                                                               fils d’un autre illustre potier de Pesaro.)
                         Fig. 194. — Plat en demi-majolique italienne.                                                 le pape Sixte IV remerciait Constance     princes, les seigneurs, se les disputaient à
                                                               Au centre de ce plat est une cavité profonde,
                                                                                                                      Sforza (1) à l’occasion de vases de terre très-   prix d’or. Les terres cuites italiennes te­
                                                              i presque hémisphérique et aplatie seulement
                                                                                                                      élégamment travaillés, qu’il avait reçus du   naient une large place dans les inventaires
                       Ce n’était pas par le libre échange qu’on   assez pour obtenir la station. Autour de cette
                                                                                                                      comte, et qui « en considération des dona­  des châteaux, et figuraient dans les testa­
                     procédait, à Pesaro et dans le duché d’Urbin,   cavité s’étend un large bord, très-orné, où
                                                                                                                      teurs, étaient plus estimés que s’ils étaient   ments, à côté des titres de propriété et des
                     au développement de l’industrie. Le 1er avril   les instruments, la musique écrite, et des
                                                                                                                      d’or ou d’argent. » Dans une autre lettre   sommes en numéraire. 11 est facile, du reste,
                     1486, un décret fut rendu par Jean Sforza   vers invitent au plaisir de la danse.
                                                                                                                      Laurent le Magnifique remercie en ces      de se rendre compte de cette vogue et de
                     d’Aragon, comte de Pesaro, pour défendre    Ces coupes portaient le nom de ballate.
                                                                                                                      termes Robert Malatesta; « Les vases me    cette admiration. Les peintres sur faïence
                     l’introduction des poteries étrangères dans   Les jeunes gens les remplissaient de dragées,
                                                                                                                      plaisent par leur perfection et leur rareté,   s’inspiraient des plus beaux modèles des ar­
                     la ville et dans le comté. Mais à côté de ces   et les offraient, dans les bals, à leurs dan­
                                                                                                                      car ils sont entièrement nouveaux dans ce   tistes de leur temps ; leurs vases reprodui­
                     restrictions, nous voyons aussi, comme co­  seuses. Lorsque la cavité se trouvait vide,
                                                                                                                       pays, et je les estime plus que s’ils étaient  saient des scènes empruntées aux œuvres
                     rollaires, les encouragements que les princes   on y découvrait ou un amour ou un autre
                                                                                                                      en argent, les armes du donateur me rap­   gravées de Michel-Ange, et aux Loges de
                     donnaient à la céramique. C’était alors   emblème. De là le nom de coppe amatorie
                                                                                                                      pelant sans cesse leur origine. »          Raphaël.
                     X époque galante de la céramique. Pesaro   (coupes d’amour) qu’on donnait également
                                                                                                                        Passeri loue beaucoup les pièces à relief
                     produisait des bustes de femmes avec un   à ces pièces.
                                                                                                                      que les artistes de Pesaro fabriquèrent de
                     nom et la simple épithète de bella, que les   Et ici nous aurons à rectifier une légende
                                                                                                                      1450 à 1500. C’étaient des fruttiere, petits
                     amants offraient à l’objet de leurs ardeurs.   historique. On prétend que le grand peintre
                     Un amant plus discret faisait inscrire une   Raphaël, l’immortel Raphaël d’Urbin, s’est            (1) Les princes Sforza avaient acheté de la famille Mala­
                                                                                                                      testa la seigneurie de Pesaro.
                     légende allégorique : Chi semina virtu fama   lui-même occupé de l’art du potier. L’erreur
   246   247   248   249   250   251   252   253   254   255   256