Page 143 - Les merveilles de l'industrie T1
P. 143

438                  MERVEILLES DE L’INDUSTRIE.

            erreur de croire que le cristal ordinaire de   pouvoir dispersif de la lumière était égal,
            nos tables, ou que le verre de nos vitres,   chez tous les corps, à leur pouvoir réfrin­
            puissent remplir l’office du flint-glass et du   gent. Or, c’était là une erreur du grand
            erow/z-ÿZâfsspourlafabricationdesverres d’op­  géomètre, et cette erreur avait la malheu­
            tique. La composition de ces deux verres dif­  reuse conséquence de faire considérer comme
            fère de celle du cristal ordinaire et des verres   impossible la réalisation de l’achromatisme.
            à vitres, par la proportion de l’oxyde de    Ce fut un mathématicien suisse, le célèbre
            plomb, en ce qui concerne le flint-glass; et   Euler, de Bâle, qui, contredisant les vues
            par la proportion du carbonate de soude et   de Newton, osa le premier affirmer que
            du sable, en ce qui concerne le crown-glass.   l’achromatisme était possible. Euler se disait
            Enfin la fonte de ces deux verres dans le   que Dieu a fait de l’achromatisme, puisqu’il
            creuset exige une opération particulière, le   a créé l’œil de l’homme et des animaux, dans
            brassage, sans laquelle le flint-glass et le   lesquels il existe une lentille, le cristallin,
            crown-glass ne pourraient servir à la cons­  qui réfracte énormément la lumière, sans
            truction des verres d’optique. C’est ce que   que pour cela la lumière soit décomposée,
            l’on comprendra par la suite de ce chapitre.  car nous voyons les objets avec leurs cou­
              Le flint-glass et le crown-glass servent à   leurs simples. En étudiant l’œil des ani­
            composer les lentilles achromatiques des té­  maux, Euler avait reconnu que le cristallin
            lescopes et des microscopes ; le crown-glass   est composé de couches de puissance réfran-
            seul forme les verres des lunettes de myope   gible variable, et que l’humeur vitrée, à la­
            et de presbyte vulgairement nommées besi­  quelle le cristallin est contigu, a un pouvoir
            cles, ainsi que les conserves. Nous les exami­  réfringent autre que le pouvoir réfringent
            nerons chacun à part.                      du cris'allin.
                                                         Dans un mémoire célèbre, qui parut en
               Verres achromatiques. — Les lentilles de   1747, Euler prouva qu’il serait possible de
            verre décomposent la lumière et produisent   réaliser l’achromatisme en construisant une
            sur les images formées à leur foyer des cou­  lentille ordinaire en cristal, qui serait suivie
            leurs irisées, qui ne sont autre chose que de   d’une seconde lentille pleine d’eau, c’est-à-
             petits spectres lumineux résultant de la dé­  dire d’une lentille réfractant et décomposant
            composition de la lumière par les bords de   la lumière, suivie d’une autre qui, réfractant
            la lentille. On appelle achromatisme (de à   inversement la lumière, ramènerait dans la
             privatif et xprâpa, couleur), l’opération qui   direction parallèle les rayons brisés par le
             consiste à corriger ce vicieux effet des len­  premier milieu.
            tilles.                                      Les opticiens de l’Europe se mirent aus­
               L’achromatisme parut longtemps un pro­  sitôt en devoir de vérifier par expérience
            blème insoluble. La lunette astronomique et   les vues du mathématicien suisse.
            la lunette de spectacle étaient, depuis un siè­  Un seul y réussit. Ce fut un opticien de
            cle, en la possession des savants et du pu­  Londres, nommé Dollond. Confiant dans
             blic, et personne n’avait pu parvenir à faire   l’exactitude des expériences de Newton, Dol­
             disparaître ces couleurs irisées qui environ­  lond avait d’abord critiqué l’opinion d’Euler.
             naient les objets vus à travers les lentilles des   Cependant, tenu en garde contre la loi de
             télescopes et des lorgnettes. On ne croyait   Newton par les calculs d’un géomètre suédois,
             pas qu’il fût possible de réfracter les rayons   nommé Kliengenstiern, Dollond prit plus tard
             lumineux sans les décomposer du même      confiance dans la théorie d’Euler, et il se mit
             coup. Newton avait posé en principe que le   à répéter les expériences de Newton. Or, il
   138   139   140   141   142   143   144   145   146   147   148