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140 MERVEILLES DE L INDUSTRIE.
décision académique. Pendant quarante ans, nait des disques de flint-glass et de crown
savants, fabricants et physiciens, tels, par exempts de stries, parfaitement homogènes,
exemple, que les chimistes Macquer et Roux, et qui avaient jusqu’à 1 pied de diamètre. Il
les manufacturiers Allut et d Artigucs, les op parvint même à en obtenir un de 18 pouces;
ticiens Cauchoix et Dufougerais, réunirent en mais ce chef-d’œuvre fut anéanti dans un in
vain leurs efforts pour atteindre le but désiré. cendie qui éclata dans sa modeste maison.
On suppléa à l’absence de la découverte Il y avait alors en Bavière un opticien cé
attendue par un beau et savant rapport, que lèbre. C’était Frauenhoffer, dont le nom
Biot lut à l’institut, le 2 janvier 1811. Le 1 sera immortel grâce à sa découverte des
travail de Biot était une œuvre remarquable, raies du spectre solaire. Frauenhoffer, qui
au point de vue de la physique mathématique, dirigeait à Munich la plus importante fa-
mais l’auteur ne pouvait que constater l’in ! brique d’instruments d’optique qui existât
succès complet des tentatives faites par Cau dans toute l’Europe, entendit parler de la
choix et d’Artigues pour la fabrication de découverte de Guinand, et il n’eut pas de re
verres d’optique satisfaisants. pos qu’il n’eùt attiré auprès de lui le fabricant
Ce que n’avaient pu découvrir ni les physi suisse. En 1805, Guinand arrivait à Munich,
ciens, ni les manufacturiers, ni les opticiens et devenait l’associé de Frauenhoffer, spécia
de toute l’Europe, fut trouvé au fond de la lement chargé de fabriquer le flint-glass né-
Suisse, par un ouvrier sans instruction, I cessaire à la construction des instruments
étranger aux progrès de la science comme aux d’optique de l’établissement bavarois.
grands travaux de l’industrie, et seulement Guinand passa dix années à Munich. Au
doué d’une volonté à toute épreuve et d’une bout de ce temps,il voulut retourner en Suisse.
faculté d’invention toute particulière. Déjà vieux (il avait soixante-dix ans), il vou
Cet ouvrier s’appelait Guinand; il habitait lait mourir dans son canton natal. On le
le village des Brenets, près de Neuchâtel. laissa partir, en lui accordant une pension
D’abord apprenti menuisier, Guinand s’occu viagère, à la condition, toutefois, qu’il ne se
pait à fabriquer des boîtes pour les horloges. livrerait pas à la fabrication du flint-glass et
Un certain Droz, constructeur d’automates, ne révélerait à personne le secret d’atelier
possédait un beau télescope, acheté en An qui était la base de son art.
gleterre, et pourvu, cela va sans dire, de Mais on ne rompt pas facilement avec les
verres achromatiques. Le jeune Guinand s’é habitudes de foute sa vie; on ne remonte, à
chauffa l’imagination à l’idée de construire aucun âge, la pente de ses goûts naturels.
un instrument semblable, et d’imiter ces Guinand, retiré aux Brenets, ne put sup
verres de flint-glass qui faisaient le princi porter le poids de l’oisiveté. 11 rompit le con
pal mérite des télescopes de Dollond. Les trat qui rattachait au gouvernement de Mu
premières notions de la verrerie lui man nich, et abandonnant la pension qu’il en rece
quaient, mais il eut vite fait de s’assimiler vait, il se remit à fondre du flint-glass. 11
cet art ; et par l’emploi de judicieuses propor fabriqua des lunettes astronomiques d’une
tions dans la composition du mélange, grâce rare perfection, que les savants se disputaient.
à des observations patientes qui lui révélèrent Dans les derniers temps de sa vie, Guinand
le secret ou plutôt le tour de main qui per était entré en relation avec la Société royale
met de rendre homogène le cristal de la de Londres, à laquelle il avait adressé un ob
même fonte dans le creuset, Guinand par jectif de flint-glass de 6 pouces, qui avait
vint à fabriquer un flint-glass qui donnait des excité une grande admiration, et amené un
lentilles d’une pureté irréprochable. Il obte rapport enthousiaste du physicien Pearson.