Page 115 - Les merveilles de l'industrie T1
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110                   MERVEILLES DE L’INDUSTRIE.


                 Il faut bien savoir, en effet, que la pein­  aux procédés techniques, ils n’ont jamais été
               ture sur un écran transparent diffère en fous   perdus, et l’on n’a jamais eu, par conséquent,
               points de la peinture sur toile ; car les résul­  à les rechercher ni à les retrouver.
               tats que l’on obtient sur une surface que la
               lumière traverse librement, n’ont presque   Après ces considérations générales sur
               rien de commun avec ceux que l’on déter­  l’art de la peinture sur verre, abordons le
               mine en étalant la couleur sur la surface opa­  sujet lui-même.
               que d’une toile. L’étude approfondie de ce   Et d’abord, disons qu’il importe de distin­
               genre spécial d’effets lumineux manque à   guer les verres simplement teints dans toute
               nos artistes modernes, et c’est là ce qui ex­  leur masse, des verres recouverts de peintures
               plique l’infériorité des vitraux de notre temps   à leur surface. La peinture sur verre est un
               sur les vitraux anciens, au point de vue du   art qui ne remonte qu’au Moyen Age et qui
               style, de la pensée et de l’art (1). Mais quant  est très-compliqué. Au contraire, la fabri­
                                                         cation des verres teints est extrêmement an­
                (1) C’est ce que l’éminent architecte M. Viollet-Leduc
               exprime parfaitement, dans une page que nous ne pouvons   cienne et est la chose la plus facile du
               résister au plaisir de citer:             monde. Les verriers de l’ancienne Egypte, les
                « Vouloir, dit M. Viollet-Leduc, reproduire ce qu’on ap­
               pelle un tableau, c’est-à-dire une peinture dans laquelle   verriers romains et orientaux, fabriquaient des
               on cherche à rendre les effets de la perspective linéaire et   quantités énormes de verre teint ou coloré. On
               de la perspective aérienne, de la lumière et des ombres
               avec toutes leurs transitions, sur un panneau de couleurs   peut même dire que la fabrication des verres
               transluscides, est une entreprise aussi téméraire que de   de couleur marqua les premiers pas de la ver­
               prétendre rendre les effets des voix humaines avec les ins­
               truments à cordes. Autre procédé, autres conditions, autre   rerie antique. Le verre blanc résulte,en effet,
               branche de l’art. Il y a presque autant de distance entre   des matières très -pures, tandis que certaines
               la peinture dite de tableaux, la peinture opaque, cherchant
               à produire l’illusion, et la peinture sur verre, qu’il y en a   substances, des oxydes métalliques principa­
               entre cette même peinture opaque et un bas-relief. Le   lement, lorsqu’ils se trouvent dans le sable,
               bas-relief serait-il peint, que jamais il ne pourrait rendre   suffisent pour donner au verre une coloration
               l’effet d’une peinture opaque sur un mur ou sur une toile;
               ce bas-relief ainsi enluminé ne sera jamais qu’un assem­  plus ou moins intense.
               blage de figures sur un seul plan. Dans une peinture opa­  On lit dans la Notice sur la verrerie égyp­
               que, dans un tableau, le rayonnement des couleurs est ab­
               solument soumis au peintre, qui, par les demi-teintes, les   tienne, qui fait partie du grand ouvrage de
               ombres diverses d’intensité et de valeur suivant les plans,   la Description de l'Egypte :
               peut la diminuer ou l’augmenter à sa volonté. Le rayonne­
               ment des couleurs translucides dans les vitraux ne peut
               être modifié par l’artiste ; tout son talent consiste à en pro­  « Les prêtres de l’Égypte, sans cesse occupés d’ex­
               fiter suivant une donnée harmonique sur un seul plan,   périences, ont fait dans leur laboratoire particulier
               comme un tapis, mais non suivant un effet de perspective   du verre comparable au cristal de roche. Profitant
               aérienne. Quoi qu’on fasse, une verrière ne représente ja­  de la propriété qu’ils ont reconnue aux oxydes des
               mais, et ne peut représenter qu’une surface plane, elle n’a
               même ses qualités réelles qu’à cette condition : toute ten­
               tative faite pour présenter à l’œil plusieurs plans détruit   de couleurs, et le résultat est satisfaisant comme cela.
               l’harmonie colorante, sans faire illusion au spectateur ;   Vouloir introduire les qualités propres à la peinture opaque
               tandis qu’une peinture opaque a et doit avoir pour effet de   dans la peinture translucide, c’est perdre les qualités pré­
               faire pénétrer l’œil dans une série de plans, de présenter   cieuses de la peinture translucide sans compensation pos­
               une succession de solides. N’y eût-il qu’une figure dans   sible. Ce n’est point ici une question de routine ou d’affec­
               une peinture, et cette figure fût-elle posée sur un fond uni,   tion aveugle pour un art qu’on voudrait maintenir dans son
               que le peintre prétend donner à cette figure l’apparence   archaïsme, ainsi qu’on le prétend parfois, c’est une de ces
               d’un corps ayant une épaisseur. Si le peintre n’atteint pas   questions absolues, parce que (nous ne saurions trop le ré­
               ce résultat dès ses premiers essais, il n’est pas moins cer­  péter) elles sont résolues par des lois physiques auxquelles
               tain que c’est le but vers lequel il tend, aussi bien dans   nous ne pouvons rien changer; vous ne ferez jamais chan­
               l’antiquité grecque que dans les temps modernes. Trans­  ter une guitare comme Rubini, et si quelques personnes
               poser cette propriété de la peinture opaque dans l’art de la   prennent plaisir à entendre jouer l’ouverture de Guil­
               peinture translucide est donc une idée fausse. La peinture   laume-Tell sur le flageolet, cela ne peut être du goût des
               translucide ne peut se proposer pour but que le dessin ap­  amateurs de musique. » {Dictionnaire raisonné de l’archi­
               puyant aussi énergiquement que possible une harmonie   tecture française du xie au xive siècle.)
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