Page 44 - Les fables de Lafontaine
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4o         LES FABLES DE LA FONTAINE

              La Fontaine joue, pour les opposer, sur la communauté de
             radical des mots conjonction et conjoncture.
              Enfin, voici le jeu de mots tout pur :
                      Le Bœuf vient à pas lents.
               Quand il eut ruminé tout le cas en sa tête... (X, I, 51-52.)
              Ruminer est pris ici dans deux sens : rumination des bovidés,
            et rumination des pensées. Jeu de mot excellent, étant pris des
            choses même et pittoresque à souhait.
              /) L’anacoluthe. C’est une rupture de construction gramma­
            ticale, qui souligne le mouvement de la pensée :
               Nous nous pardonnons tout et rien aux autres hommes. (I, 8, 29.)
              Il faudrait : nous nous pardonnons tout et ne pardonnons rien...
            Mais le passage incorrect de l’affirmation positive à la négation
            souligne l’opposition tout et rien. Autre exemple :
                      (II) se dit écolier d’Hippocrate,
                      Qu'il connaît les vertus, etc. (V, 8, 12-13.)
              Le passage incorrect du complément-nom à la complétive
            par que souligne l’enchaînement des prétentions du personnage.
            Dans l’exemple suivant, l’anacoluthe est plus forte :
               Notre Chien, se voyant trop faible contre eux tous
               Et que la chair courait un danger manifeste... (VIII, 7, 21-22.)
              Il faudrait, en bonne grammaire, se voyant... et voyant que.
            Mais l’anacoluthe souligne la rapidité des déductions du chien.
            L’anacoluthe est plus forte encore, pour nous, dans l’exemple
            suivant :
               Dans cette intention, une vieille masure
               Fut la scène où devait se passer l’aventure. (IX, 15, 9-II.)
              Dans cette intention se rapporte à il choisit (une vieille masure
            pour scène...).
              g)  L’antithèse. Cette figure oppose deux termes ou deux
            idées pour les faire valoir l’un par l’autre. Elle joue un grand rôle
            dans la composition. Nous ne nous occuperons ici que des anti­
            thèses de style. Les dix premiers vers de I, 22, le Chêne et le
            Roseau, présentent une succession d’antithèses qui, par les oppo­
            sitions de mots, peignent admirablement l’opposition des person­
            nages. Il faut les étudier en détail. On ne saurait faire des varia­
            tions à la fois plus brillantes, plus expressives et plus naturelles.
            C’est le sommet de l’art.
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