Page 235 - La Lecture Expressive
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          Lecture         113.  La  rentrée  des  foins

         1.  Le vent du nord-ouest souilla trois jours de suite, fort et continu,
       assurant une période de temps sans pluie. Les faux avaient été aigui-
       sées longtemps d'avance, et les cinq hommes se mirent à l'ouvrage le
       matin du troisième jour ...
         Vers le soir, tous les cinq prirent des  fourches  et  firent  les  cc  veil-
       loches  1   )),  hautes et bien tassées, en prévision  d'une saute de vent
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       possible.  Mais  le  temps resta  beau ...
         2.  Trois ou quatre fois par jour, une femme leur apportait un seau
       d'eau qu'ils cachaient sous les branches ; et, quand la chaleur,le tra-
       vail et la poussière de  foin  leur avaient par trop desséché le  gosier,
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       ils allaient, chacun à son tour, boire de grandes lampées  d'eau et s'en
       verser sur les poignets ou sur la tête.     •
         3.  En cinq  jours,  tout le  foin  fut coupé,  et,  comme la sécheresse
       persistait,  ils  commencèrent,  au  matin  du sixième jour, à  ouvrir et
       re~ourner les  cc  veilloches  n qu'ils voulaient granger avant le soir. Les
       faux  avaient  fini  leur besogne  et ce  fut  le  tour des  fourches.  Elles
       démolirent les(< veilloches n, étalèrent le foin au soleil, puis, vers la  fin
       de l'après-midi, quand il eut séché, elles l'amoncelèrent de nouveau
       en tas de la grosseur exacte qu'un homme peut soulever en une seule
       fois  au niveau  d'une haute charrette déjà  presque pleine.
         4.  Charles-Eugène  tirait  vaillamment  entre  les  brancards :  la
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       charrette  s'engouffrait  dans  la  grange,  s'arrêtait,  et  les  fourches
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       s'enfonçaient une fois  de  plus dans  le foin  rudement  foulé,  qu'elles
       enlevaient en galettes épaisses, sous l'effort des poignets et des reins,
       et déchargeaient au côté.
         5.  A la  fin  de  la semaine, tout le foin  était dans la grange, sec et
       d'une  belle  couleur,  et  les  hommes  s'étirèrent  et respirèrent  lon-
       guement,  comme  s'ils  sortaient d'une  bataille.
                 Louis  HÉMON  (Maria  Chapdelaine,  Bernard  Grasset,  éditeur).

         Les  mots :  1.  Veillochc  :  terme  local  :  petite  meule.  2.  Prévision  :  action
       de prévoir, c'est-à-dire de voir à /'avance ; quel danger possible pouvaient craindre
       les  faucheurs ? (Même  idée  de  voir  dans  :  vue,  clairvoyant,  apercevoir,  prévoir,
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